Le regard de l’autre

Iranien vivant en France, Mehran Tamadon a passé trois ans avec d’ardents défenseurs de la République d’Iran pour filmer « Bassidji ».

Ingrid Merckx  • 21 octobre 2010 abonné·es

«Je n’ai pas de compte à rendre aux Occidentaux ! » , certifie le documentariste. « On verra quand ils t’auront acheté » , réplique l’un de ses interlocuteurs. D’où un léger malaise chez le spectateur occidental qui paie pour voir ce documentaire sur les bassidji, « les défenseurs les plus extrêmes de la République islamique d’Iran » . Car ces derniers le présentent comme l’ennemi, l’envahisseur, le corrupteur… C’est un haut mur que Mehran Tamadon entreprend d’escalader avec ce documentaire. Il avance à visage découvert : Iranien marié à une Française, vivant en France, non-croyant… « Tout pour heurter les convictions de ceux qui respectent les dogmes du régime. Un dialogue se noue pourtant… » Toute la tension du film réside dans ce « pourtant » . Pourtant , ce fils de militants communistes passe trois ans avec ces fervents partisans de la République islamique. Pourtant , ils acceptent de se livrer, de le guider à travers leurs lieux de culte et de réunion, de défendre devant lui dogmes et paradigmes. « Pose franchement ta question ! », prévient l’un. Des arrière-pensées, ils en ont tous à l’écran, transformé en espace de joute. Le documentariste se montrant curieux de comprendre, les bassidji désireux d’argumenter.

Mehran Tamadon adopte différents niveaux de présence : observateur quand il visite le mémorial des martyrs de la guerre Iran-Irak ou assiste à une cérémonie ; introduit quand il accompagne un jeune bassidji très militant ; interlocuteur quand il lance un débat avec de jeunes femmes voilées ou avec un imam railleur ; et même opposant quand il confie aux bassidji qu’il peut regarder les femmes parce qu’il a appris à se contrôler.
Il pose ses questions hors champ mais apparaît parfois, par « accident » (un bras, un micro) ou invité par les filmés. La place du filmant varie en permanence, s’adaptant aux situations sans jamais lâcher son point de vue « extérieur ». « Pourquoi pleurez-vous tous dans le noir ? » , demande le documentariste à l’imam. « Pourquoi le voile obligatoire ? Pourquoi vous présentez-vous toujours comme des victimes ? » , interrogent des Iraniens préenregistrés dont il se fait le messager. Les bassidji répondent, habiles rhétoriciens, enclins à l’humour et au sarcasme. Avides, surtout, de convaincre.

« Je ne crois pas en Dieu » , leur rappelle Mehran Tamadon. « Reste un peu avec nous, tu vas voir… » , rétorque Nader-Malek-Kandi, l’éditeur. Un personnage ambigu, sympathique mais capable de ricaner : « Sinon, on a d’autres méthodes… » Un arrière-plan invisible, celui de la répression, parfois transpire, venant invalider ou renforcer tel ou tel propos. Au fond, qui manipule qui ? Et qui regarde qui ?

Culture
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