Les godillots doutent de leur chef

L’autorité de Nicolas Sarkozy est affaiblie au sein même de sa majorité, gagnée par la cacophonie. Le rapport de force social défavorable au gouvernement n’arrange rien.

Michel Soudais  • 7 octobre 2010 abonné·es
Les godillots doutent de leur chef

L’incident n’a guère été relaté. Il est pourtant significatif de la dégradation du climat politique au sein de la droite. Les députés UMP ont infligé le 29 septembre, en commission, un camouflet au gouvernement sur le dossier épineux de la dette sociale, reposant ainsi, le jour même de la présentation du budget 2011, la question d’une hausse des impôts, refusée par Nicolas Sarkozy. À la quasi-unanimité, les membres de la commission des Lois, emmenés par leur président, Jean-Luc Warsmann (UMP), ont supprimé le volet central du projet de loi organique sur la gestion de la dette sociale, en refusant de prolonger de quatre ans la durée de vie de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades).
Créée en 1996 pour financer la dette sociale, composée des déficits accumulés par les caisses de Sécu et le Fonds de solidarité vieillesse, la Cades est alimentée par la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS). Le gouvernement a décidé de modifier la loi pour que la caisse puisse absorber les nouveaux déficits cumulés, évalués pour la période 2009-2011 « autour de 80 milliards d’euros » . Il souhaitait que la Cades soit prolongée jusqu’en 2025 en lui apportant 3,2 milliards de ressources nouvelles.

Les responsables de la majorité se relaient depuis pour minorer ce couac, et assurer que le problème sera réglé avant l’examen du texte en séance publique, le 12 octobre. N’empêche, ni la convocation à l’Élysée de M. Warsmann – auteur en 2005 d’un amendement empêchant d’allonger la durée de vie de la Cades –, ni la menace de François Fillon de recourir à l’article 49-3, une arme jamais utilisée depuis 2007, n’ont pu empêcher les députés de s’opposer à la volonté de l’Élysée en commission.
Cette rébellion des godillots traduit un affaiblissement de l’autorité présidentielle au sein même de sa majorité. Comme si la peur d’une défaite en 2012 commençait à s’emparer des futurs candidats aux législatives. Ceux-là ne peuvent que prendre acte de l’interminable ­dégringolade du pouvoir dans les sondages. Dans le baromètre Figaro Magazine du 2 octobre, Nicolas Sarkozy atteint son plus haut niveau parmi ceux qui ne lui font pas confiance (72 %, +5 points) et François Fillon est au plus bas chez ceux qui lui font confiance (34 %, -3 points).

Le psychodrame autour de la Cades n’a toutefois rien d’un coup de tonnerre dans un ciel serein. Depuis quelques mois, la cacophonie s’est emparée de la droite. Dans l’attente d’un remaniement gouvernemental, désormais attendu pour novembre, les chamailleries s’étalent au grand jour. À petites touches, des ministres sur le départ prennent leur distance vis-à-vis de la politique conduite par le gouvernement, auquel certains appartiennent depuis trois ans. François Fillon, lui-même, donne parfois l’impression de succomber à cette facilité. Dernier ministre à confirmer son départ, le secrétaire d’État aux Transports, Dominique Bussereau, a fait part lundi de son intention de « se re-ioder, c’est-à-dire prendre un peu d’air, se régénérer » . L’air serait-il donc si rare au gouvernement ? Fin septembre, en Conseil des ministres, Nicolas Sarkozy aurait ostensiblement pointé les ministres partants et restants sur une feuille que personne n’a pu lire, avant de la plier pour la ranger dans son veston, raconte le Figaro (5 octobre).

Alors forcément, à l’extérieur, les ambitieux jouent des coudes, qui pour entrer au gouvernement, qui pour décrocher un poste en vue à la direction de l’UMP puisqu’une modification importante de la composition du gouvernement entraînera forcément des reclassements au sommet du parti présidentiel. Et ça se voit. Dans les couloirs des journées parlementaires de l’UMP, les ministres et les élus présents à Biarritz n’ont parlé que de cela. Jean-François Copé, le chef du groupe parlementaire, en avait profité une nouvelle fois pour dire tout le bien qu’il pensait de Xavier Bertrand, le secrétaire général de l’UMP. Ce dernier, qui accuse son rival d’avoir déjà intégré la défaite de Sarkozy en 2012, a encore lâché ce week-end : « Le pari selon quoi on laisse la gauche gagner pour mieux rafler la mise au coup suivant, je n’y crois pas un instant parce que c’est mortel. »

Même les anciens Premiers ministres n’hésitent plus à faire part de leurs conseils qui sonnent comme autant de critiques. Édouard Balladur suggérait ainsi récemment d’interdire les retraites chapeaux et les stock-options, parce que l’opinion a « le sentiment que notre système économique favorise à l’excès quelques-uns » . « Le gouvernement a un devoir de compréhension » , rappelle Jean-Pierre Raffarin dans le Journal du dimanche , au lendemain de la journée de mobilisation sur les retraites du 2 octobre, après avoir estimé que la mobilisation syndicale ne déclinait pas. Contrairement à ce que prétend le gouvernement. Alain Juppé, qui s’interroge sur l’ « intérêt de monter sur le Titanic » , prône un changement de méthode –  « Le président de la République ne peut pas monter au créneau sur tous les sujets »  – et un « changement de feuille de route » qui substituerait les sujets économiques et sociaux à la sécurité, qui « n’est pas la préoccupation prioritaire des Français » .

Les débats qui agitent la droite sur la sécurité ou la fiscalité, comme les disputes ouvertes suscitées par la perspective d’un remaniement, traduisent la fébrilité de la majorité face à l’échéance de 2012. Une fébrilité aggravée par un rapport de force social qui lui est défavorable et qu’elle ne sait comment endiguer avec Nicolas Sarkozy à sa tête.

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