Libres de s’opposer

Des militants poursuivis pour avoir appelé au boycott de produits d’Israël ont été relaxés.

Meriem Laribi  • 21 octobre 2010 abonné·es

La sénatrice Alima Boumediene-Thiery (Verts) et le dirigeant du NPA Omar Slaouti comparaissaient le 14 octobre devant le tribunal de grande instance de Pontoise pour « provocation à la discrimination ». Cela pour avoir participé le 9 mai 2009 à une manifestation à l’intérieur du magasin Carrefour de Montigny-lès-Cormeilles (95), et retiré des rayons des produits en provenance d’Israël. Ils répondaient ainsi à l’appel de la campagne BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions), initiée comme un substitut à une communauté internationale défaillante qui, par son inertie, assure une impunité à Israël. « Nous avons été nombreux à voter au Parlement européen le gel des accords d’association avec Israël en 2002 » , a tout de même rappelé la sénatrice aux manifestants qui s’étaient rassemblés devant le tribunal pour soutenir les deux prévenus. « Mais, les gouvernements d’Europe n’ont pas voulu appliquer ces résolutions, a-t-elle déploré, et les Palestiniens vivent une situation d’apartheid. Nous demandons donc à la France de boycotter Israël. »

Alima Boumediene-Thiery et Omar Slaouti devaient leur présence incongrue dans cette enceinte judiciaire à l’attention procédurière de Sammy Ghozlan, lui seul à l’origine des poursuites contre pas moins de 80 militants à travers la France. Président du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme, il s’était notamment illustré dans l’affaire du RER D en 2004, crédibilisant une histoire d’agression antisémite imaginée de toutes pièces par une jeune femme troublée par l’actualité. « Sammy Ghozlan est une espèce de fanatique » , n’a pas hésité à affirmer Me AntoineComte, avocat de la défense, dès l’ouverture du procès. Et d’ajouter, sur un ton quelque peu excédé : « Madame la juge, sachez qu’il y a quelques jours cet homme a annoncé qu’il poursuivait Stéphane Hessel, résistant de la première heure, déporté, ambassadeur de France et rédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme. »

À l’extérieur, des drapeaux palestiniens, du NPA, des Verts, des associations pro-palestiniennes, et des petites mains jaunes portant l’inscription « Touche pas à ma sénatrice » coloraient les abords du tribunal. Une délégation de parlementaires et de militants s’était déplacée de Bruxelles pour assister au procès. En plus de la centaine de CRS mobilisés, onze policiers étaient en faction à l’intérieur de la salle d’audience, aggravant sans doute une tension déjà palpable. Ce qui a conduit la juge à lancer un appel à la « sérénité » en ouverture de l’audience. Immédiatement, Me Comte a attiré l’attention de la cour sur le fait que les parties civiles « multiplient à n’en plus finir ce type de procès, que le parquet poursuit, hélas ! » . Regardant ses adversaires dans les yeux, il s’est écrié : « J’en ai assez de les voir en face de moi tout le temps ! » Il a ensuite plaidé la nullité des poursuites, mettant en évidence que les faits reprochés sont réprimés par deux textes différents : celui du droit de la presse et celui du droit commun. « Une citation à comparaître ne doit créer aucune ambiguïté dans l’esprit de la personne poursuivie , a-t-il rappelé, c’est une condition sine qua non de sa défense. » La cour lui a donné raison en reconnaissant le vice de procédure et en prononçant la nullité du procès.

À la sortie du tribunal, Alima Boumediene-Thiery s’est déclarée « contente de cette décision » . « Mon seul regret , a-t-elle commenté, est de n’avoir pas eu l’occasion d’aborder le fond. Il aurait été intéressant d’obliger la justice à se positionner sur l’application du droit international. » Me Comte s’est également félicité de cette décision en insistant sur le comportement de ces associations pro-israéliennes qui sont « des officines travaillant comme des services de renseignement et qui vont multiplier ce genre d’affaires » . « Il faut une mobilisation générale pour empêcher les entraves à la liberté d’expression » , a-t-il conclu. Il y avait dans la salle plusieurs personnalités du monde politique, comme Monique Cerisier Ben Guiga, sénatrice PS, Adrien Gouteyron, sénateur UMP, ainsi que Patrick Le Hyaric, directeur de l’Humanité. Si on doit se réjouir de cette issue, il ne faut cependant pas oublier qu’une cascade de procès est programmée pour les prochaines semaines. Citons notamment le jugement en appel de Sakina Arnaud, membre de la Ligue des droits de l’homme, le 22 octobre à Bordeaux, et le procès de cinq membres de la campagne BDS à Mulhouse, le 29 octobre.

Monde
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

Droit international : quand règne la loi du plus fort
Monde 9 juillet 2025 abonné·es

Droit international : quand règne la loi du plus fort

Les principes du droit international restent inscrits dans les traités et les discours. Mais partout dans le monde, ils s’amenuisent face aux logiques de puissance, d’occupation et d’abandon.
Par Maxime Sirvins
Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face

Depuis les traités de Westphalie, le droit international s’est construit comme un champ en apparence neutre et universel. Pourtant, son histoire est marquée par des dynamiques de pouvoir, d’exclusion et d’instrumentalisation politique. Derrière le vernis juridique, le droit international a trop souvent servi les intérêts des puissants.
Par Pierre Jacquemain
La déroute du droit international
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

La déroute du droit international

L’ensemble des normes et des règles qui régissent les relations entre les pays constitue un important référent pour les peuples. Mais cela n’a jamais été la garantie d’une justice irréprochable, ni autre chose qu’un rapport de force, à l’image du virage tyrannique des États-Unis.
Par Denis Sieffert
Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »
Entretien 2 juillet 2025 abonné·es

Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »

L’intellectuel syrien est une figure de l’opposition au régime des Assad. Il a passé seize ans en prison sous Hafez Al-Assad et a pris part à la révolution en 2011. Il dresse un portrait sans concession des nouveaux hommes forts du gouvernement syrien et esquisse des pistes pour la Syrie de demain.
Par Hugo Lautissier