Panique-pénurie: la France en panne de sens est toujours droguée aux vapeurs d’essence

Claude-Marie Vadrot  • 24 octobre 2010
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Les journaux télévisés et les radios ont détaillé pendant tout le week-end, les méandres contradictoires de la pénurie de carburants. Comme une litanie, une malédiction quasi divine dont les commentateurs embusqués au long des routes et dans les stations-service ne citent même plus les causes. La pénurie en boucle se suffit à elle-même, comme si une grève n’en était pas l’origine. Disparue la grève, il ne reste que l’essence de l’essence. Le ministre de l’Ecologie ne remarque même pas l’absurdité de son numéro destiné à lui faire franchir les dernières marches qui le mèneront peut-être au poste de Premier ministre, numéro qui consiste à pleurer cette essence qui symbolise l’essence de notre société alors qu’il est le ministre de la protection de l’environnement. D’ailleurs, dans ses propos rassurants, monumental lapsus gouvernemental collectif et révélateur, il n’évoque que la « situation sur les autoroutes ». Dans sa tête, il n’y a qu’elles : plus de route, que les autoroutes dont il a autorisé la poursuite de la construction en dépit des assurances données au Grenelle de l’environnement. LA France vit exclusivement au bord des autoroutes sur lesquels des automobilistes battraient collectivement en retraite…

Les lycéens peuvent brûler des poubelles, les (parait-il) casseurs peuvent casser sans émouvoir vraiment, les salariés peuvent se mettre en grève et les trains rouler chaotiquement (mais pas assez) tout comme certains bus et métros de Paris ou de province, la France ne s’émouvait pas plus que le Président et ses dévouées collaborateurs radotant leurs éléments de langage dans les gazettes, les radios et les télévisions. Sans y croire, mais personne ne leur demande d’avoir l’air convaincus. La France approuvait majoritairement les grévistes et le pouvoir ne cachait pas qu’il attendait simplement que ça passe, comme un mauvais rhume. Mais voila que la France manque d’essence, c’est le scandale et la cohorte des lamentations qui surgissent et secouent la société, voilà le choeur des pleureuses en action et relayé par la presse quasiment unanime. Nous ne semblons pas pouvoir vivre sans essence et surtout sans ce gazole pour lequel le pays a fait un choix dangereux pour la santé et le gouvernement décide d’agir. Le pouvoir ne s’émeut pas pour rouvrir les négociations sur une réforme mal ficelée mais pour ranimer les pompes exsangues. L’essence française reste engluée dans la drogue essence.

Je sais, il faut partir en vacances. Mais combien de Français partent en vacances à cette époque de l’année? Les plus démunis ? Les lycéens en congé depuis samedi ? Les 8 millions de Français flirtant avec le seuil de pauvreté ? Mes étudiants qui mettent à profit quelques jours de répit universitaire pour gagner les trois sous qui leur permettront de compenser des bourses maigrelettes et parcimonieusement attribuées ? Ceux que, toute la semaine, j’ai rencontré roulant en 4×4 dans Paris sans paraître touchés par la pénurie ? Ceux qui râlent en se plaignant dans les interviews télévisées d’être contraints (quelle honte !) de prendre le train ?

Je sais aussi, il y a les banlieusards de toutes les villes qui n’ont pas d’autres solutions. Ces gens auxquels le pouvoir qui sanglote avec des larmes de crocodiles en les évoquant n’a jamais réussit à fournir des transports en commun convenables après les avoir chassé des centres urbains devenus trop chers. Mais ce pouvoir qui n’a rien compris ne fait que semblant de les plaindre, attaché qu’il est à défendre « la liberté de circuler » comme le dit un ministre qui devrait plutôt les plaindre d’avoir à travailler plus et plus longtemps pour ne pas gagner plus.

Un moment, découvrant que le Salon de l’Auto (oui, je sais, pour faire chic, on doit dire Mondial de l’automobile) avait perdu 200 000 fidèles, j’avais repris espoir. Espoir que le dieu bagnole avait perdu des fidèles, que cette vieille religion n’avait comme d’autres laissés en route que quelques pratiquants et bigots démodés.

Et bien non, le gouvernement a enfin sévi et pris des mesures : il débloque, ou tente de débloquer, la distribution de l’essence. Parce que les sondages discrets dont les parlementaires nous détailleront un jour le prix, lui ont appris que nous étions toujours nombreux, trop nombreux à rester des intoxiqués de la voiture. Parlementaires dont une récente enquête du Cevipof et de Daniel Boy viennent de nous rappeler qu’ils n’ont toujours rien compris à l’écologie, au développement durable, aux menaces qui pèsent sur la planète et au réchauffement climatique dont on débattra une nouvelle fois dans un mois à Cancun.

Pendant quelques jours nous auront vécu la situation qui nous guette et pour laquelle il faudra trouver des solutions collectives : la pénurie des énergies fossiles. La même situation prémonitoire que celle vécue lors de l’irruption du volcan islandais.

Et comment fait, me direz vous, l’auteur de ces lignes navré que notre société reste intoxiquée par les vapeurs d’essence au point d’en avoir des vapeurs collectives ? Il a, comme d’habitude branché son scooter sur une prise électrique, modèle de scooter dont il a été vendu qu’à peine une centaine d’exemplaires depuis un an en France…

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