Borloo fait mousser son Grenelle

Trois ans après les débats du Grenelle de l’environnement, un rapport indépendant en dresse une évaluation flatteuse qui sert les ambitions du ministre de l’Écologie. Pourtant, on cherche en vain la « révolution » annoncée.

Patrick Piro  • 11 novembre 2010 abonné·es
Borloo fait mousser son Grenelle
© Photo : Bonaventure/AFP

Petit théâtre de la communication politique la semaine dernière : Jean-Louis Borloo organise en son ministère de l’Écologie la divulgation d’un rapport « indépendant » chargé d’évaluer trois années de mise en application des engagements du Grenelle de l’environnement. Rédigé par un comité d’experts [^2] coordonné par le cabinet Ernst & Young, le document n’a pas été présenté auparavant aux organisations ayant participé aux débats du Grenelle en 2007. « Les parties prenantes ont souhaité faire un point d’étape » , ose le ministre. Pourtant, les associations n’ont pas été conviées à participer à cette évaluation (voir encadré).

C’est donc sans surprise que l’on découvre un satisfecit global – plaisante coïncidence pour un Jean-Louis Borloo qui postule activement au poste de Premier ministre [^3]. Baignés d’optimisme, les rédacteurs du rapport n’ont pas lésiné sur les formules pour qualifier le Grenelle : « acte fondateur pour un nouveau modèle de société » , « véritable monument législatif » , « évolutions irréversibles » , « véritable rupture » , « nouveau modèle de gouvernance » , « formidable moteur de relance économique » … Aurait-on manqué par inadvertance l’avènement de ce « New Deal écologique » , cette « révolution à laquelle nous invite ce Grenelle de l’environnement » , selon les termes du discours de Nicolas Sarkozy le 25 octobre 2007 ?
Les données du rapport puisées avec délectation par le ministre pour sa communication résistent pourtant mal à l’analyse. Décorticage.

Un décollage fulgurant

Sur la calculette des auteurs, sur les 268 engagements initiaux, 77 % ont été réalisés ou sont en voie de l’être, 19 % ont été mis en chantier et 4 % « seulement » doivent faire l’objet « d’une redéfinition complète » . Soit « 96 % de démarches engagées » – un vrai triomphe statistique !
Mais ce bon résultat dénonce surtout la méthode choisie par le rapport, consistant à valoriser une arithmétique pointilleuse largement dénuée de sens. Qu’est-ce qu’une démarche engagée ? Une première réunion de contact ou bien des mesures radicales ? Les « engagements réalisés » (18 %) additionnent de simples ajustements administratifs, des actions d’information, d’énigmatiques broutilles (engagement 173 : « La question du devenir du CNDD est posée »  !), d’impérieuses mises en conformité avec le droit européen, comme l’adoption de la fameuse loi OGM ou la disparition des lampes à incandescence (d’ailleurs abusivement présentée comme aboutie en 2010 !). L’estampille « réalisé » est même décernée à l’engagement « évaluation environnementale des lois et mesures fiscales » !

À peine quelques soucis mineurs…

Parmi les autres engagements abordés, pas de malaise : les trois quarts cheminent « sans difficulté particulière à ce jour » , et le reste nécessite une « remobilisation ou une réorientation » . À aucun moment le rapport ne s’attarde sur les mémorables coups d’arrêt, reculs ou incertitudes de financement qui ont jalonné ces trois années, comme l’ajournement sine die de la taxe carbone, la relance de la construction d’autoroutes, les entraves récentes au développement de l’éolien ou du photovoltaïque, le bonus-malus écologique affaibli pour l’automobile et jamais étendu à d’autres secteurs, le relâchement de la pression sur les pollutions agricoles, l’étiquetage carbone en panne, etc. C’est en quelque sorte hors sujet de la comptabilité têtue du rapport, qui rappelle que l’horizon de réalisation de plusieurs engagements est l’an 2020. Problème : en termes d’objectif, « on n’est pas sur la trajectoire pour 2012 » , commente Anne Bringault, directrice des Amis de la Terre.

Un big-bang écologique

Évaluer le Grenelle à l’aune de son impact réel aurait en effet été beaucoup moins flatteur. Jean-Louis Borloo préfère louer la « dynamique du Grenelle » à coup de pourcentages, une fois de plus. C’est flagrant au chapitre « énergies renouvelables » : entre 2007 et 2009, il annonce + 600 % de production d’électricité solaire, +91 % pour l’éolien, etc. Forcément spectaculaire au regard du retard national. Mais beaucoup moins décoiffant en valeur relative : la France est loin du peloton de tête européen si l’on considère la puissance installée par habitant [^4].

De même, le secteur du bâtiment recueille un « 12/12 » d’engagements « en cours de réalisation sans difficulté particulière à ce jour » , avec un gros bon point pour la construction neuve, où la « basse consommation énergétique » sera généralisée dès 2020… mais qui ne représente que 1 % du parc ! Le rapport (et le ministère) est bien moins disert sur les 99 % du problème, à savoir la rénovation thermique de l’ancien, où le Grenelle a calé – demi-mesures, retard des programmes, manque considérable de professionnels, etc. –, alors qu’il ambitionne de réduire de 38 % la consommation d’énergie de l’ensemble du parc d’ici à 2020.

Les Français en reveulent !

Autre arme classique de la « com’ » : le sondage pro domo. Celui que le ministère de l’Écologie a commandé à Ifop vient parfaire le sentiment de plébiscite laissé par le rapport Ernst & Young : 92 % des Français considèrent que le Grenelle « est la bonne méthode pour faire bouger les choses », et 88 % aimeraient la voir étendue à d’autres enjeux. Comme la fiscalité ? – suggestion opportunément lancée par le prétendant à Matignon.
Mais voilà, cette « validation massive » est démentie par un autre sondage, commandé en octobre à OpinionWay par le mensuel Terra Eco  : questionnés sur ce qu’ils pensent du Grenelle (et non pas de sa méthode), les Français jugent à 74 % qu’il s’agit d’un échec. Bref, on a eu raison de lancer le Grenelle (merci Borloo), mais il ne change pas grand-chose à la crise écologique (hélas Borloo).

[^2]: Principalement le climatologue Jean Jouzel, le sénateur UMP Jean-François Le Grand, le pédiatre Alain Grimfeld et Nicole Notat, présidente de l’agence de notation sociale Vigeo. Rapport sur www.developpement-durable.gouv.fr

[^3]: Le remaniement pourrait avoir lieu à la fin du mois.

[^4]: Voir Politis n° 1123, p. 19.

Écologie
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