Comment fabriquer – encore – du chômage

En freinant la politique des emplois aidés, l’État plonge le secteur associatif dans l’embarras. Tandis que des postes disparaissent, le volontariat et le financement privé risquent de s’imposer comme de nouvelles normes.

Erwan Manac'h  • 25 novembre 2010 abonné·es

« C’est une vraie catastrophe à plusieurs niveaux ! » Nicolas Eglin, directeur de l’association lyonnaise Une Souris verte, qui informe et accompagne les parents d’enfants handicapés, ne cache pas son désarroi devant l’austérité qui menace la politique des emplois aidés. Son sentiment est unanimement partagé dans le secteur associatif, déjà échaudé par trop de coupes dans les subventions.

Une vague d’inquiétude a été déclenchée le 14 oc­tobre par une directive des préfectures demandant aux agences de Pôle emploi de geler toutes les embauches en contrats d’accompagnement dans l’emploi (CAE), le principal contrat aidé pour les activités à but non lucratif. L’enveloppe pour l’année 2010 est déjà consommée, et le renouvellement, en cours, des CAE (qui sont signés pour deux fois six mois, puis un an) a été interrompu in extremis.
L’annonce a asséné un coup brutal à toutes les associations et administrations qui emploient massivement ces contrats dans les maisons de retraite, les clubs sportifs, les établissements scolaires, notamment pour l’accompagnement des personnes handicapées. À la rentrée des vacances de la Toussaint, des personnels techniques manquaient à l’appel dans de nombreuses écoles, et des enfants en situation de handicap ont dû être déscolarisés faute d’accompagnateurs.

Le coup est dur, aussi, pour beaucoup d’entreprises d’insertion. Elles étaient les premières à tirer la sonnette d’alarme, car le CAE est l’un des rares dispositifs qui s’adressent aux chômeurs de longue durée. « Si nous perdons cet outil-là, très attractif pour les employeurs, le chômage de longue durée risque de s’installer » , s’inquiète Emmanuel M’hedhbi, agent au Pôle emploi et membre du bureau national du SNU-FSU.

Pour pallier l’urgence, et sous la pression notamment des familles d’enfants handicapés scolarisés, des enveloppes ont été débloquées dans plusieurs régions pour remplacer les emplois non renouvelés. Certaines craintes devraient s’estomper en janvier avec l’accès aux crédits pour 2011, qui débloquera des embauches. Cependant, l’angoisse persiste dans beaucoup d’associations, car les financements d’emplois aidés vont être orientés à la baisse dans les années à venir.

En 2010, un effort particulier avait été consenti pour gommer les effets de la crise, 410 000 contrats (CAE et contrats uniques d’insertion) ont été financés, contre 380 000 en 2009. Considérant que la crise est désormais passée, l’État devrait diminuer ses financements à hauteur de 340 000 contrats en 2011 (-17 % sur un an). Les travaux de projection budgétaire du Parlement tablent même sur une baisse, d’ici à 2013, à 200 000 emplois aidés. Soit deux fois moins qu’aujourd’hui. Autre mauvaise surprise pour les asso­ciations, les CAE sont désormais moins subventionnés. Les aides publiques, qui varient entre 70 % et 90 % du salaire, selon les emplois et le profil des employés, avaient été ­rehaussées en 2009 dans le cadre du plan de relance pour stimuler les embauches. La loi de finances pour 2011 stipule que ces aides « seront ramenées aux niveaux en vigueur avant la crise » . Devant ces orientations politiques, certains élus locaux crient à l’aberration : les économies réalisées seront en partie annulées par le coût des aides aux chômeurs de longue durée et l’explosion du nombre de personnes au RSA socle, l’ex-RMI.

L’inquiétude a surtout gagné la plupart des associations, car les emplois aidés sont devenus indispensables dans leur fonctionnement. Détournés de leur vocation initiale d’accompagner un retour à l’emploi, ils sont désormais utilisés pour des missions pérennes. C’est le cas pour l’accompagnement des enfants handicapés dans leur scolarité, qui représente 50 000 emplois en France. Jusqu’à récemment, les auxiliaires de vie scolaire étaient embauchés par l’Éducation nationale pour six ans. Ils sont désormais de plus en plus recrutés en CAE et comme « emplois de vie scolaire » moins qualifiés et moins formés. « Il y a une précarisation accrue du personnel accompagnant , souligne Nicolas Eglin. Il faudrait pérenniser les postes et permettre à des professionnels de faire carrière, car leurs missions sont nécessaires. Depuis deux ans, l’Éducation nationale gère simplement la pénurie alors que le nombre d’enfants handicapés scolarisés augmente de 10 à 15 % chaque année. »

À plus long terme, beaucoup craignent que les emplois aidés soient remplacés par des prestataires privés… ou des jeunes en service civique. Un nouveau statut de volontariat a été créé en mars : les jeunes effectuent entre 6 et 12 mois de volontariat au service de « l’intérêt général », payés environ 600 euros par mois. 15 000 missions de ce type seront financées sous l’égide de l’Agence du service civique, créée le 12 mai et présidée par Martin Hirsch. L’objectif affiché d’ici à 2014 est même de toucher 10 % d’une classe d’âge : soit 75 000 jeunes par an. Toutes les fédérations d’éducation populaire saluent ce soutien au volontariat, et la position officielle est claire : le volontariat ne saurait se substituer à des emplois salariés.

Pourtant, la vigilance est de mise du côté d’Unis-Cité, association qui développe le volontariat depuis quinze ans avec l’engagement et la mixité sociale comme priorités. « Il y a des garde-fous légaux , précise Stephan Cazade, son directeur. Les jeunes ne peuvent pas être employés pour une mission qui était accomplie par un salarié. Mais il est clair que nous sommes très vigilants, car il y a un risque de dérive sur le terrain. Il manque encore une culture du volontariat en France, et les associations doivent être formées. »

À la Fédération Léo-Lagrange, un réseau d’associations d’éducation populaire, les craintes sont plus nourries encore : « Malheureusement, nous nous apercevons que beaucoup d’offres de volontariat correspondent à du salariat déguisé , remarque Yann Lasnier, secrétaire général adjoint de la fédération, très attaché à l’idée de volontariat. Je crains aussi qu’avec la réduction des budgets des collectivités cette dérive ne s’installe. »

Dernière perspective qui soulève l’inquiétude : les associations se substituent de plus en plus aux services publics dans les missions d’accompagnement. Depuis 2010, par exemple, plusieurs organismes conventionnés par l’État peuvent salarier des auxiliaires de vie scolaire en fin de contrat avec l’Éducation nationale. Les associations sont partagées sur le bien-fondé de ce passage de témoin de l’État aux associations. Pour certains, il permettra enfin une vraie professionnalisation de l’accompagnement, mais, pour Nicolas Eglin, cela pourrait jeter le trouble sur ­l’offre de services, avec une mise en concurrence des associations entre elles. Il concède surtout que la pente est glissante : « Dans les métiers d’aide à la personne, il y a effectivement un risque que des organismes privés apparaissent et encadrent eux-mêmes des emplois de vie scolaire. Ceux-ci ne répondraient plus alors à l’autorité hiérarchique du corps enseignant et de l’Éducation ­nationale. »
« C’est toujours la même chose , s’inquiète Olivier Bertrand, élu écologiste au conseil général de l’Isère (PS), très inquiet sur la situation financière de sa collectivité. Quand le public ne peut plus remplir sa mission faute de moyens, les familles qui le peuvent se tournent vers le privé. »

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