Écouter enfin les Cassandre

Alors que le Grenelle de l’environnement les avait pour la première fois évoqués, les lanceurs d’alerte attendent toujours une législation qui les protégerait et encadrerait le processus de mise en garde.

Noëlle Guillon  • 18 novembre 2010 abonné·es

Jacques Poirier a vécu une véritable descente aux enfers. Il était vétérinaire, responsable de la sécurité des matières premières servant à la fabrication de médicaments d’origine biologique chez Aventis-Pharma. En 1996, en pleine crise de la vache folle, il alerte en interne sur l’origine d’intestins servant à fabriquer l’héparine, un anticoagulant utilisé notamment pour éviter thromboses et embolies. Le plus gros chiffre d’affaires de sa société. Or, les produits biologiques devant être extraits de la muqueuse intestinale de porcs proviennent en réalité souvent de bœufs. Notamment lorsqu’ils sont originaires de Chine.

Jacques Poirier met en garde de manière plus large contre tout produit en provenance de ce pays. Il est progressivement rétrogradé à des postes sans responsabilité, puis licencié en 2003. Et qu’importe si, en 2008, des lots d’héparine d’origine chinoise de la société Baxter provoquent des chocs mortels aux États-Unis et en Allemagne. Une substance ajoutée, la chondroïtine persulfatée, est mise en cause. La société Aventis-Pharma, elle, ne remet toujours en cause ni ses approvisionnements ni ses procédures de contrôle des produits.

Ce destin inéluctable de lanceur d’alerte, ils sont nombreux à l’avoir connu. De Pierre Meneton, opposé aux producteurs de sel, à André Cicolella et sa dénonciation des dangers des éthers de glycol. En 2007, le Grenelle de l’environnement fait référence à cette nouvelle figure, en tant qu’incarnation de la « démocratie écologique » . Francis Chateauraynaud, sociologue à l’origine du concept de lanceur d’alerte, le définit comme l’ « observateur qui met en lumière un événement saillant, dont on ne connaît pas a priori le terme » . Chercheur mais aussi simple citoyen, il prend connaissance de par son activité d’un point ouvrant débat. Pour la Fondation sciences citoyennes, il s’agit d’un acteur essentiel à l’heure où les controverses scientifiques sont bien souvent étouffées par le poids de l’industrie dans la recherche. L’espoir du Grenelle s’est pourtant éteint.

À l’automne 2008, au moment du vote de la loi « Grenelle 1 », il n’était plus question de lanceurs d’alerte. Alors que le législatif piétine, le concept évolue. « Le militant se revendique aujourd’hui comme lanceur d’alerte. Mais les faucheurs, par exemple, ne sont pas des lanceurs d’alerte, c’est un groupe de la société civile en mouvement d’opposition politique. Le lanceur d’alerte, lui, n’est pas associé à une valeur ou une morale » , remarque Francis Chateauraynaud. Pour tenter de lui donner une légitimité, la Fondation sciences citoyennes vient de produire une proposition de loi. Marie-Angèle Hermitte, juriste, a participé à son élaboration. « Il s’agit de dépasser la jurisprudence. Protéger le lanceur d’alerte, comme c’est le cas aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, et même aller plus loin en donnant un cadre à l’alerte elle-même. »

L’association soumet en effet la création d’une Haute Autorité de l’expertise scientifique et de l’alerte. Elle permettrait une analyse de chaque alerte dans le respect du principe du contradictoire et en veillant aux conflits d’intérêts. « Une alerte doit-elle drainer une vérité pour être une bonne alerte ? Pas nécessairement. Une bonne alerte, c’est celle qui est suivie, qui déclenche des acteurs » , précise Francis Chateauraynaud. Sans cadre juridique, c’est cette fonction qui est menacée.

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