La Carte musique joue du pipeau

Christine Tréguier  • 11 novembre 2010 abonné·es

Selon Franck Riester (honorable membre de l’Hadopi et rapporteur de la loi), avec Hadopi, bientôt l’Acta (voir DQD n° 1093 ) et la Carte musique (CM), l’Internet va devenir « civilisé » . Le vocable rappelle certains discours sécuritaires sur les banlieues, « zones de non-droit » elles aussi, que Nicolas Sarkozy avait promis de civiliser… ou de « nettoyer au Kärcher » . Foutredieu ! Il y aurait donc sur le Net des racailles, des sauvageons d’origine incertaine et des délinquants semant le trouble et l’insécurité ? Mais que fait la police ? Ne peut-elle stopper ces hordes d’odieux pirates attaquant les fiers navires chargés de films, de musiques et de logiciels des « ayants droit », et les spoliant de leurs légitimes bénéfices ? Elle y travaille, nous dit-on, et sa tâche n’est pas aisée.

Mais, en l’occurrence, les voyous incivilisés ciblés ne sont pas ceux-là. Il s’agit de vos gamins et de ceux de vos voisins, amis et collègues de bureau. Il s’agit de vous, d’eux, épiciers du coin, pharmaciens, plombiers, fonctionnaires, employés de banque, cadres d’entreprise et même artistes et ministres. De tous ceux qui commettent ce honteux forfait, ce crime impardonnable consistant à « partager » les œuvres culturelles qu’ils aiment en les copiant illégalement. Les mêmes qui, d’ailleurs, en achètent et en téléchargent légalement.

Les parents ne donnant pas le bon exemple, l’État a décidé, une fois encore, de sévir pour eux. Aux parents défaillants d’enfants absentéistes, il coupe les allocs. Aux parents de pirates, il va couper l’Internet (via l’Hadopi). Il paraît que la peur de l’e-gendarme fonctionne déjà et que les bénéfices des sites de téléchargement légal montent en flèche. Ça marche tellement bien que Frédéric Mitterrand a été prié de prévoir un truc en plus : une Carte musique offerte aux 15-25 ans (le lobby des bénéficiaires aurait préféré 12-35 ans). Sa vocation avouée : « Habituer le jeune à acheter plutôt qu’à télécharger gratuitement des contenus musicaux » , à « respecter le travail des artistes » .

Grand prince, Sarko avait grillé Mitterrand et lancé le chiffre de 200 euros/mois. Trop cher ! 25 euros/an (pour 25 euros déboursés) suffiront pour inciter à la consommation. Bilan de la CM, une semaine après son lancement le 28 octobre : 10 000 cartes vendues (soit 250 000 euros). À ce rythme-là, et compte tenu des possibles fraudes, l’addition pourrait dépasser les 10 à 20 millions – coût estimé, selon PCInpact, de cette opération de soutien aux « pauvres » maisons de disque, hors études, site et campagne de pub ringarde.

« 50 % de mise, 100 % de kiff, la totale ! » , clament les spots. La totale absurdité, c’est de détourner l’argent des contribuables pour le « kiff » exclusif d’une quinzaine de multinationales (Virgin, iTunes, Fnac, Orange, Deezer, etc.). Et cette subvention déguisée a reçu l’aval de Bruxelles, d’habitude à cheval sur tout ce qui fausse la libre concurrence. Les internautes seraient pourtant prêts à payer un forfait de 7 à 10 euros par mois – une « licence globale » – pour télécharger librement. Forfait qui rapporterait des recettes non négligeables à tous les acteurs… y compris à l’État.

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