Mais ce sont des fous !

Christine Tréguier  • 18 novembre 2010
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Le collectif « Non à la politique de la peur » et tous les signataires de l’appel contre les soins sécuritaires « Mais c’est un homme » (lancé en août dernier) n’en démordent pas : le projet de loi « relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et à leurs modalités de prise en charge » est un texte répressif et régressif qui compromet encore un peu plus la relation thérapeutique entre soignants et patients, déjà rendue difficile par le manque chronique d’effectifs, de lieux et de moyens. Sous couvert de dangerosité et de potentiels troubles à l’ordre public, les préfets pourraient ordonner « garde à vue psychiatrique » de 72 heures, hospitalisation d’office (HO) ou encore soins contraints à domicile, y compris contre l’avis des médecins (voir « Un travail soignant, et non policier » Politis du 24 juin 2010). « En insistant sur la figure de l’aliéné , lit-on dans l’appel. Mais c’est un homme », le pouvoir justifie sa politique de la peur et la société de surveillance qu’il met en place. Tel est le véritable sens du “soin sans consentement” prévu dans ce texte. »

Les initiateurs de l’appel ont exposé, lors d’une rencontre-débat, en quoi cette politique de la contrainte, guidée par des intérêts à la fois sécuritaires et financiers est tout sauf d’inspiration sanitaire et médicale. Camisole chimique et soins à domicile coûtent moins à l’État, rapportent aux labos et ne sont que le corollaire d’une privatisation en marche qui, déjà, réduit les effectifs et les lits. Quelques parlementaires de l’opposition – Martine Billard, Jacqueline Fraysse et Jack Ralite – sont venus dire leur refus d’une loi d’exception rognant encore un peu plus les droits fondamentaux de ceux qu’on dit « fous » et qui sont, d’abord et avant tout, des êtres humains.

« C’est , a affirmé Jack Ralite avec son ineffable talent, le noyau même de l’être humain qui est attaqué. » Et l’ancien ministre de la Santé de rappeler que « le concept de prévention, s’il se réfère à une notion de normalité, le concept de guérison, s’il se réfère à une normalisation, et enfin le concept d’assistance, s’il nécessite l’étiquetage et l’invalidation, vont à l’encontre de toute démarche thérapeutique [^2] » . La LDH et le Syndicat de la magistrature ont rappelé que toute privation de liberté doit obligatoirement être placée sous le contrôle (et non la décision) d’un juge. Obligatoire aussi, un mécanisme garantissant à chaque patient un droit au recours et à la défense.

Et puis il y a ce fichier d’antécédents, exigé par Sarkozy, de tous ceux qui auront de près ou de loin approché la psychiatrie. Autant dire potentiellement tout le monde. Un « casier psychiatrique » qui implique, que ses données soient anonymisées ou non, une rupture du secret médical pour les soignants et un handicap professionnel et social assuré pour le « fiché », dont la fiche peut fuiter… comme a fuité la fiche judiciaire d’Ali Soumaré.
On a envie d’objecter à cette « organisation d’un nouveau grand renfermement » par un catégorique « Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé » . Et on se dit que chaque soignant désobéissant à la loi pour défendre ce droit supérieur ne saurait a priori être inquiété ou menacé dans l’exercice de sa fonction. À moins que…

[^2]: Extrait du rapport Demay « Une voie française pour une psychiatrie différente », juillet 1982, http://www.serpsy.org/rapport/DEMAY.html

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