Princes et pages

Le Salon du livre et de  la presse jeunesse se tient à Montreuil du 1er au 6 décembre. Rapide parcours parmi quelques pépites.

Ingrid Merckx  • 25 novembre 2010 abonné·es
Princes et pages

Château bas ! Motordu fête ses 30 ans au Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, qui en profite pour inviter à son édition 2010 les jeunes couronnés des contes pour enfants. Du fameux Prince de Motordu de Pef, donc, aux tout nouveaux Dragons et Princesses de Michel Ocelot.
Dans le « Précis d’éducation d’une princesse », premier volet de l’exposition « La vie de château », « Savoir réfléchir » arrive au quatrième rang après « se présenter », « se coiffer », « s’habiller » : plutôt vieille école ! D’autant qu’on y retrouve la Belle au bois dormant , Peau d’âne , Blanche-Neige , la Belle et la Bête … Mais heureusement relookées dans des éditions récentes.

En écho au nouveau festival d’animation AniMix, une série de conférences sera consacrée à l’adaptation sur grand écran avec des études de cas : Mandarine and Cow , bande dessinée de Jacques Azam (Milan), Ma maman est en Amérique , bande dessinée de Jean-Claude Loiseau (Gallimard), et Tara Duncan , série fantastique de Sophie Audouin-Mamikonian (XO éditions). C’est surtout l’occasion de plonger dans des illustrés avec ou sans texte, à plat ou en volumes, au crayon ou à la peinture, en pochoir et linogravures, selon qu’il s’agit d’albums, de livres-disques, de livres-objets ou même d’un livre-diorama [^2]…

Pitt et les Ogres

Ils se sont mis à deux pour illustrer le premier album des aventures de Pitt Ocha, petit personnage dompteur de bruits mis en musique par les Ogres de Barback. Aurélia Grandin et Éric Fleury, deux compagnons de route du groupe, et deux styles très différents. À elle les tableaux aux couleurs chaudes, les univers forain et musical mêlés dans un grand mouvement de fête. À lui les cartes postales au crayon fin, aux diagonales riantes, aux lignes droites chahutées. À elle le décor du conte, à lui l’accompagnement des chansons dans ce livre-album à lire en chantant ou le contraire. « Idées poilues », page 11 : « C’est alors que plein d’idées poilues sont sorties de ma tête/Faisant la ronde et chantant à tue-tête : “Nous, on veut pas aller, aller à l’école/On préfère voyager, prendre notre envol !” » « Rotrot rotrot », page 45 : « Il n’entend pas d’hurlements d’ogres, les bruits qui traînent ici lui sont sympathiques… » Une peinture collage d’Aurélia Grandin parsème des musiciens jouant sur une place. Sur un mur, l’ombre d’une girafe et, dans un coin, une carte du monde…

La Pittoresque Histoire de Pitt Ocha, Les Ogres de Barback, Irfan le Label, 65 p., 25 euros.

L’atelier du poisson soluble Joli nom pour cette maison fondée en 1989 par « deux lycéens qui s’ennuyaient », Olivier Belhomme et Stéphane Queyriaux. Tout est géré en interne, studio graphique, diffusion et distribution, pour « favoriser des relations privilégiées avec les libraires » : taux de retour inférieur à 2,5 %. Au rayon nouveautés, des choses très différentes, comme Lulu, met pas ton nez dans ta bouche (Cécile Van Hille, Amélie Girard), dure histoire d’un petit garçon au bec-de-lièvre sur des dessins inventif et tourmentés. Et la Masure aux confitures (Sylvie Chasse et Anne Letuffe), exercice libre sur Hansel et Gretel en collages foisonnants, bariolés et gourmands, jouant avec les typographies et l’espace.

www.poissonsoluble.com

Joëlle Jolivet, volumes et pop-up

L’illustratrice se démène cet hiver. Elle accompagne notamment L’homme qui plantait des arbres, de Jean Giono, et Moby-Dick, d’après Herman Melville. Deux grands textes classiques qu’elle agrémente de linogravures étonnantes. Dans le second, celles-ci superposent jusqu’à quatre plans dans des gammes mélancolico-boréales aux côtés d’un texte qui se présente sous de multiples typographies empruntant à la presse anglo-saxonne ou au style western. Soit un « livre-diorama » plutôt pour les grands, qui se contemple presque plus qu’il ne se lit… Serait-elle devenue cruelle ? Adepte de la « Star’Ac » ou du  « Maillon faible » ? Dans 10 P’tits Pingouins, livre animé en volumes prétendument pour les petits qui apprennent à compter de 10 à 0, Joëlle Jolivet se livre, sur un texte de Jean-Luc Fromental, à un jeu de « pop-up » éliminatoires presque violent mais néanmoins marrant : à chaque tirette actionnée, un pingouin se fait dégommer, assommer, engloutir, exploser, emporter, croquer, noyer, etc. À lire en entier pour le « final cut » tendance Hollywood mais salutaire.

Moby-Dick, illustrations de Joëlle Jolivet, Gallimard jeunesse, 20 p., 25 euros.
10 P’tits Pingouins, Jean-Luc Fromental et Joëlle Jolivet, Hélium, 22 p., 14,90 euros.

Loulou, le retour

Loulou, c’est comme les mousquetaires : vingt ans après sa première et désormais légendaire aventure, le personnage star de Grégoire Solotareff revient sous les feux des projecteurs. Il fait rudement bien : Loulou et Tom lapin n’ont rien perdu de leur superbe, de leurs silhouettes qui s’allongent dans des décors nus aux couleurs franches, si discrètement suggestifs, de leurs yeux rêveurs, de leur sens du détail piquant ou inquiétant et de leur amitié tellement « contre-nature ». Laquelle est mise à rude épreuve puisqu’en 2010 Loulou se lie avec un grand loup croqueur de lapins, bien décidé à faire de Tom son déjeuner. Qu’est-ce qu’un vrai loup ? Un vrai lapin ? Un vrai ami ? « Loup », ou le nom de code de toutes les peurs et de tous les pièges… Le premier album ressort en format géant, mais Loulou est un poil plus petit.

Loulou, plus fort que le loup, Grégoire Solotareff, École des loisirs, 40 p., 12,50 euros.

Ombres enchanteresses

L’École des loisirs fait fort puisque la grande maison diffuse également Ombres, un objet splendide, d’une esthétique délicate et d’une puissance d’imagination vertigineuse, publié par les éditions Kaléidoscope. Écrit et illustré par la Coréenne Suzy Lee (la Vague), l’album s’ouvre verticalement : en haut, un dessin au crayon montre une petite fille jouant dans un grenier avec, entre autres, un aspirateur, un vélo un escabeau surmonté de godillots. De l’autre côté de la pliure, la même scène est reproduite de façon symétrique, mais en version sombre discrètement auréolée de jaune orangé. La petite fille venant d’allumer la lumière, la scène du bas est comme l’ombre de la première. Sur quelques pages, seules les positions de la fillette changent, elle-même jouant avec son ombre comme dans un petit théâtre de chinoiseries intérieures, mais inversé puisqu’elle semble davantage se mirer dans une surface liquide que travailler des formes projetées sur un mur. Ombres et lumières, profondeurs et extérieur… Le rez-de-chaussée est le monde imaginaire, l’étage un grenier qui se vide. Petit à petit, la scène du bas se fait moins fidèle, le vélo devient lune, l’escabeau plante grasse, et l’ombre de la fillette un petit loup… Plus elle joue et plus les deux univers s’interpénètrent, jusqu’à ce que le loup du bas saute dans le grenier et qu’elle trouve refuge en dessous. Tandis que les places s’échangent, les encres éclaboussent, le jaune orangé se répand, les pochoirs se multiplient… Jusqu’à ce que le jeu s’interrompe et que la lumière s’éteigne. Rideau.

Ombres, Suzy Lee, éditions Kaléidoscope, 44 p., 15 euros.

Papa soldat

Grand format pour cet album de Rue du monde sur un petit enfant qui hérite d’une vieille couverture à la mort de son père. La palette arc-en-ciel de l’illustratrice, ses changements d’échelle et ses silhouettes fantômes témoignent d’une forte volonté de dépasser, transcender, transformer la dureté troublante du texte.

La Couverture du papa soldat, Gianni Rodari, Judith Gueyfier, Rue du monde, 32 p., 14 euros.

[^2]: S’inspirant d’un procédé consistant à peindre personnages ou paysages, diversement éclairés.

Culture
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