Un parcours en classe voyage

Quatre-vingts collèges en France proposent un dispositif d’accompagnement aux enfants des gens du voyage. Reportage dans une classe créée à cet effet en 2009 au collège Guillaume-de-Normandie de Caen.

Manon Loubet  • 25 novembre 2010 abonné·es
Un parcours en classe voyage
© Photo : AFP/Poujoulat

Temps froid et pluvieux ce matin de novembre sur le terrain des gens du voyage de La Guérinière, un quartier du sud de Caen (Calvados). Occupée par une centaine de caravanes, l’aire est quasi déserte. Seule une femme étend son linge sous un auvent. Natacha nous accueille avec un grand sourire et ouvre avec entrain la porte de sa petite caravane. Des banquettes rouges, une jolie table et d’élégantes tasses de café sont disposées avec goût.

Natacha est d’origine manouche et mère de trois enfants. La dernière a 11 ans mais n’est plus scolarisée. « Je ne veux pas qu’elle aille au collège, c’est le lieu de tous les dangers, des viols et de la drogue… Et puis j’ai besoin d’elle ici pour m’aider. » Ses deux garçons, l’un majeur et l’autre près de l’être, ont été à l’école primaire mais pas au collège. « Je n’en voyais pas l’intérêt, ils ne deviendront ni avocats ni médecins. Ils feront les marchés, de la “chine”… C’est comme ça. » Les trois ont suivi des cours par correspondance avec le Centre national d’enseignement à distance (Cned) et savent lire, écrire et compter. « Ces cours leur suffisent, assure Natacha. Et puis c’est plus pratique pour nous qui changeons de ville régulièrement. »
Si 70 % des enfants des gens du voyage fréquentent l’école primaire, ils ne sont plus que 20 % à aller au collège, selon une étude réalisée par Élisabeth Clanet dit Lamanit, chargée de mission pour la formation des gens du voyage et des publics itinérants du Cned.  « Ils suivent des cours par correspondance, mais ceux-ci n’ont jamais été conçus pour qu’un élève s’en sorte seul. Et le manque de formation des parents ne leur permet pas d’aider leurs enfants. »

La scolarisation au Cned est plébiscitée par les gens du voyage parce qu’elle convient à leur mode de vie, mais ne semble pas totalement efficace. « Il y a encore trop d’analphabètes et d’illettrés, remarque Élisabeth Clanet dit Lamanit. Il fallait trouver un moyen de les accompagner. » D’où les classes spéciales « enfants du voyage » qui ont été créées dans quatre-vingts collèges de France depuis 2006, l’objectif étant d’en développer deux cent cinquante pour éviter la déscolarisation et renforcer l’intégration.
Depuis la rentrée 2009, une de ces classes a été mise en place au collège Guillaume-de-Normandie à Caen. Elle est encadrée par Jean Pion, ­professeur d’histoire-géographie, et Germain Schlauder, assistant pédagogique. Tous les matins, quatre jours par semaine, une dizaine d’enfants âgés de 12 à 16 ans viennent y recevoir du soutien pour travailler leurs cours du Cned. C’est le collège qui gère les envois et la réception des courriers. « Le dispositif vise à réduire le fossé entre l’école primaire et le collège , explique Sylvie Trochu, principale de l’établissement. Notre objectif est d’insérer plus tard les élèves dans les autres classes. »

Première difficulté : faire venir les enfants. Pour ce faire, le collège travaille avec Les chemins de traverse, une association caennaise qui se rend régulièrement sur les différents terrains des gens du voyage de l’agglomération à l’aide d’un grand bus anglais (voir encadré page suivante). Germain Schlauder l’accompagne une fois par semaine pour rencontrer parents et enfants, et leur présenter le dispositif. « Il est difficile de décider les parents, admet-il. Le collège leur fait peur et ils estiment que ce qu’on y apprend n’est pas indispensable. »

Certains se sont laissés convaincre, et cette année vingt-deux enfants sont inscrits dans la classe enfants du voyage du collège Guillaume-de-Normandie contre douze l’an dernier. « Une certaine confiance commence à s’installer » , fait remarquer l’assistant pédagogique. Dans la salle de classe, située au deuxième étage de l’établissement, quelques tables sont disposées. Aux murs, des dessins représentant des caravanes et l’idée du voyage. Sur une étagère, tous les dossiers de suivi du Cned, classés par niveaux, avec le nom des élèves écrit en gras. La pièce est petite, mais les vingt-deux inscrits ne viennent jamais tous en même temps. « Il y a beaucoup d’absentéisme » , regrette Germain Schlauder. Étonnamment, ce sont les enfants des familles qui se déplacent le plus qui sont les plus assidus, les « sédentaires » ayant davantage tendance à faire l’école buissonnière. Les filles, notamment : elles représentent seulement un tiers des élèves, les autres restant aider leur mère au camp.

Autre problème : les enfants du voyage ont dû mal à se mélanger aux autres élèves. La première année, lorsque la sonnerie retentissait, ils préféraient passer la récréation en classe. « Nous les poussons à sortir , assure Germain Schlauder. Mais ils restent entre eux. »
Les différences de niveau sont également difficiles à appréhender. Dans la même classe, certains ne savent pas encore lire, alors que d’autres ont un niveau de 6e. « Il y a beaucoup à améliorer dans ce dispositif, nous sommes en constante évolution… Et ce n’est peut-être pas encore la meilleure solution pour les gens du voyage… » , glisse Germain Schlauder. Très engagé auprès de l’association Les chemins de traverse, il s’interroge sur la pertinence et l’efficacité de ce type de classe : trop peu de temps avec les enfants, trop peu de moyens, du soutien plutôt que de l’enseignement, et quels échanges réels avec le reste de l’école ? Ne faudrait-il pas mieux penser à un mode d’instruction qui se ferait en dehors de l’institution ?

« Si l’on insiste pour que les enfants des gens du voyage aillent à l’école, c’est parce que la scolarité est la meilleure solution contre l’exclusion , ajoute-t-il. L’apprentissage des savoirs et du vivre-ensemble que permet l’école est essentiel. Mais la condition, évidemment, c’est de proposer un enseignement adapté qui ne heurte pas leur mode de vie et leur culture » . Il reste du chemin à faire, dans les deux sens.

Société
Temps de lecture : 5 minutes

Pour aller plus loin…

François Turpeau, un « jaune » qui cultive l’écoute
Portrait 4 décembre 2024 abonné·es

François Turpeau, un « jaune » qui cultive l’écoute

À la tête de la Coordination rurale de la Vienne, le céréalier, viticulteur et cultivateur d’échalions défend la ligne nationale du syndicat. Mais, au niveau local, celui qui est aussi vice-président de la chambre d’agriculture maintient un dialogue franc avec les écologistes et les autres syndicalistes.
Par Mathilde Doiezie
Agriculteurs : vivre ou nourrir, faut-il choisir ?
Économie 4 décembre 2024 abonné·es

Agriculteurs : vivre ou nourrir, faut-il choisir ?

Au cœur de la détresse des exploitants : la rémunération globalement bien trop faible, en dépit de fortes disparités. La question, pourtant, peine à faire l’objet de véritables négociations et à émerger dans le débat public.
Par Vanina Delmas
La Coordination rurale contre l’État et les écolos
Enquête 4 décembre 2024 abonné·es

La Coordination rurale contre l’État et les écolos

Le syndicat est en première ligne dans la mobilisation des agriculteurs et assume des méthodes musclées pour obtenir ce qu’il veut. Une façon de s’imposer comme le représentant de « tous les agriculteurs » à deux mois des élections professionnelles.
Par Pierre Jequier-Zalc
À Sevran, une scène à la maison
Reportage 4 décembre 2024 abonné·es

À Sevran, une scène à la maison

Dans cette ville de Seine-Saint-Denis, le théâtre La Poudrerie se produit chez l’habitant·e depuis treize ans. Une initiative gratuite qui ravit la population et qui permet au débat d’exister d’une nouvelle façon.
Par Élise Leclercq