Il y avait quoi, hier, à la télé ?

En près de neuf heures de film, Michel Poulain retrace une histoire du petit écran de 1950 à 1980. C’est-à-dire avant la privatisation et l’audimat. Éloquent.

Jean-Claude Renard  • 9 décembre 2010 abonné·es

Comment ça marche, la ­télé­vision ? Jacqueline Joubert se fait pédagogue, explique : « La caméra électronique qui se trouve devant moi est reliée par câble à l’antenne de la tour Eiffel après passage dans les différents services techniques qui contrôlent l’émission. La tour Eiffel émet les ondes qui portent mon image jusqu’à votre écran personnel. Pour assurer une variété à la prise de vue et réaliser l’équivalent du montage au cinéma, deux caméras enregistrent simultanément mon image. La première me filme en pied, la seconde en gros plan […]. Vous saurez maintenant, en me voyant, qu’aucun mystère n’entoure mon apparition. » On est le 22 mars 1951. La France compte environ 4 000 postes de télévision. Le journal télévisé est alors diffusé à 21 heures, et dure quinze minutes. Un JT qui s’excuse pour « la coupure momentanée du son » ou son « interruption de l’image » . À l’écran, un langage châtié, Claude Darget, Jacques Sallebert ou encore Pierre Dumayet et Pierre Tchernia. Les dépêches sont lues, la caméra reste fixe. Les reportages fonctionnent comme à la radio. Déjà, la météo s’affiche, avec sa carte de France, ses prévisions à neuf jours, découpées en « plus frais » et en « gelées » . « Ainsi s’achève le journal télévisé » , ponctue un banc-titre. Et la télévision d’entamer sa marche en avant. En 1979, l’Hexagone ­comptera 17 millions de téléviseurs.

Réalisé par Michel Poulain, ce film enveloppe, en près de neuf heures, trente ans de télévision. 1950-1980. Sans relent nostalgique. Trois décennies qui s’avancent non pas de manière chronologique mais thématique. Dans cette première décennie, à l’instar de Jacqueline Joubert, c’est une télé qui se fait pédagogue : les mines de potasse en Alsace, le cerveau humain, la greffe du rein artificiel. Une télé qui relaie « l’affreuse misère des sans-logis » et l’appel de l’abbé Pierre un certain hiver 1954. Une télé qui aussi s’accompagne de divertissements : Piaf enchante le public de l’Alhambra dans « 36 Chandelles », Jacques Grello et Robert Rocca animent « la Boîte à sel », Roger Pierre et Jean-Marc Thibault s’agitent dans « la Clé des champs », Achille Zavatta fait rire dans « la Piste aux étoiles ». Même le sport occupe le terrain : Louison Bobet parvient « au prix d’un suprême effort » à arracher le titre de champion du monde à Ferdi Kübler, les gros bras du catch en décousent, l’Ange blanc en tête, devant les yeux de Roger Couderc (« Quelle ambiance, mes enfants ! Quelle ambiance ! » ). La télé est encore gamine qu’elle porte déjà ses gloires. Elle informe, elle divertit, elle cultive. Alain Lombard interprète ainsi l’Après-midi d’un faune dans « Discorama », Maurice Béjart et Arielle Coignet se produisent dans « l’École des vedettes », la Callas s’installe dans « la Grande Nuit de l’opéra », tandis que dans « Lectures pour tous », devant Pierre Desgraupes, Cocteau s’accommode de l’anticonformisme : « Je suis anticonformiste au point d’être contre le conformisme anti-académique. C’est le plus répandu de tous. Les gens m’ont toujours dit : “Vous ne devez pas aller à l’Académie !” Ça m’a donné extrêmement envie de m’y rendre. »

Une décennie qui s’achève sur la création, le 6 février 1959, de « 5 Colonnes à la une », présenté par Pierre Lazareff, Pierre Dumayet, Pierre Desgraupes et Igor Barrère. Un magazine emblématique d’une télé qui se fait en même temps qu’elle s’invente. Sans course à l’audience, sans publicité. Cette publicité qui survient dans la décennie suivante, en 1960. Se succéderont « Face à face », un débat avec Guy Mollet, « les Dossiers de l’écran », le démarrage de la deuxième chaîne, le rectangle blanc, les Shadoks et, plus tard encore, Maurice Clavel refusant la censure dans « À armes égales », l’impertinence du « Petit Rapporteur », le « Grand Échiquier », Mitterrand et Marchais apprivoisant l’image, une troisième chaîne en couleur censée « offrir plus de choix » . Neuf heures de petit écran (des moments oubliés, passés inaperçus) qui ont valeur de document. Et au fil des années il n’y a pas que les couleurs et les plans de caméra qui s’additionnent, mais les divertissements, les jeux, les shows, les feuilletons. Quand tombera la privatisation, avec l’audimat pour acolyte, la télé ne fera plus de télévision.

Médias
Temps de lecture : 4 minutes