L’affliction télévisée

Futilités, banalités, médiocrité. Plus
que jamais, pour cette fin d’année, les chaînes publiques rivalisent
de programmes consternants.

Jean-Claude Renard  • 23 décembre 2010 abonné·es
L’affliction télévisée
© Photo : AFP

Passons sur les chaînes privées, TF 1 et M6, dont les programmes, tout au long de l’année, n’ont pas d’autre ambition que de faire du commerce visant ce fameux « temps de cerveau disponible ». À l’instar des vacances estivales, les fêtes de fin d’année sont toujours l’occasion de programmes plus ou moins médiocres. Ça se relâche. Entre Noël et la Saint-Sylvestre, cette année, France Télévisions rivalise d’intelligence, dans un monde où « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » , qui se résumerait en gloire, amour et boustifailles.

Avec les Trois Glorieuses pour commencer (France 5), un documentaire très courageux et risqué d’Henry-Jean Servat consacré à Danielle Darrieux, Michèle Morgan et Micheline Presle, « dont les destinées sur grand écran s’entremêlent sans jamais se nouer » . À suivre (France 5 également) par Docteur San Antonio et Mister Dard, réalisé par Jean-Pierre Devillers sous la plume de Guy Carlier, un « portrait complexe et bouleversant » . C’est pas du Bergman. Tout comme Huit Mariages à la cour d’Angleterre (France 5), révélant « la féerie qui précède le grand jour chez les Windsor » .

Pas de fêtes de fin d’année sans rire. Avec « la Télé est à vous », ce 24 décembre, France 2 « vous offre une soirée exceptionnelle » , ­présentée par Stéphane Bern, avec Francis Perrin, Anthony Kavanagh, Shirley et Dino, Anne Roumanoff… et Miss France 2011 (élue par Endemol sur TF 1). Pour s’excuser du peu dans la franche rigolade [^2], la chaîne renchérit en invitant Chantal Goya, Gérard Majax, Annie Cordy et Jean-Luc Lahaye.

Calée dans cette féerie post-contemporaine aux confins du désastre, France 3 présente les incontour­nables Petits Chanteurs à la croix de Bois (le 29 décembre), aux côtés des cadors de la scène : Michel Sardou et Sylvie Vartan. C’est du brutal. Sardou qu’on retrouve le 1er janvier (France 3), en compagnie de Sheila, de Brigitte Bardot et de Johnny Hallyday. Et dans le plein de rires et d’émotions, France 2 annonce pour cette quinzaine des soirées encore et forcément exceptionnelles : un jeu animé par Patrick Sabatier, un bêtisier présenté par Gérald Dahan, une « revanche des stars » orchestrée par Julien Courbet, « qui permettra à des personnalités piégées par des caméras cachées de prendre leur revanche et de raconter ce qu’elles avaient vécu à l’époque » . De l’audace, toujours de l’audace. La chaîne se permet même un entretien « exclusif » avec Céline Dion « quelques jours avant la naissance de ses jumeaux » . Il fallait oser.

Pas de fêtes non plus sans rien dans le buffet. France 5 propose ainsi un sempiternel Jean-Luc Petitrenaud dans « le Banquet », escapade gourmande dans le Sud-Ouest, France 2 diffuse le Grand Restaurant, de Pierre Palmade. Même Arte se colle à la boustifaille avec une « Théma » (le 29 décembre) constituée de deux documentaires produits par Doc en stock, la société de Daniel Leconte, nourrissant grassement le débat gastronomique : Y a du sushi à se faire et McDo, une passion française . Titres éloquents. Originalité, inventivité. Au diapason de l’ensemble des programmes.

Une cerise sur la bûche : France télévisions annonce fièrement sa couverture du Dakar 2011 (qui n’en a que le nom puisque le rallye a lieu entre l’Argentine et le Chili). Où l’on verra sur chaque chaîne du service public Gérard Holtz. 52 minutes tous les jours sur France 4, suivant les étapes, comprenant un « carnet de route » qui se veut « une immersion au sein des populations argentine et chilienne » , c’est-à-dire une caution un brin ethnologique.
Sur France 3, ce sont 5 minutes quotidiennes à 20 heures avec le « résumé des moments forts de la course avec interviews et classements » . Sur France 2, le Dakar occupe la case de « l’image du jour », peu avant 20 heures, suivie par un « bivouac » en troisième partie de soirée. Pour ce rallye de l’indécence, France Télévisions mobilise vingt-cinq personnes, deux 4×4 et deux  « hélicoptères en tête de la course, tandis qu’un troisième hélico, à l’arrière, rendra compte des galères » . On en frissonne à l’avance.

[^2]: Dans ce registre hautement concurrentiel, rappelons que Studio Canal édite pour le coup un remarquable coffret Pierre Desproges, comprenant notamment les inédits « Bons Conseils du professeur Corbiniou », diffusés sur TF 1 en 1980, « la Minute de Monsieur Cyclopède » et ses deux spectacles.

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