« Nous ne voulons pas être des cobayes »

Des citoyens de toute la France sont venus apporter leur soutien au lanceur d’alerte Gilles-Éric Séralini. Le 23 novembre, le biologiste attaquait en diffamation l’Association française des biotechnologies végétales.

Noëlle Guillon  • 2 décembre 2010
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« Nous ne voulons pas être des cobayes »
© Photo : Noëlle Guillon

La banderole claque fièrement au vent sous Notre-Dame-de-Paris, depuis le pont de la péniche Alternat  : « Lanceurs d’alerte. Citoyens responsables mais pas coupables ». Sur le quai de Montebello, en plein cœur de Paris, des dizaines de personnes qui n’ont pas pu monter à bord. Elles ont pourtant fait du chemin, depuis le Poitou-Charentes ou le Gard, pour soutenir le chercheur Gilles-Éric Séralini, professeur à l’université de Caen. Aujourd’hui se tient le procès en diffamation qu’il intente au professeur Marc Fellous et à son Association française des biotechnologies végétales, l’AFBV. « Il faut souligner l’importance historique du procès. D’habitude, ce sont les lanceurs d’alerte qui sont attaqués, marginalisés. C’est la première fois qu’un scientifique se rebelle contre des propos mettant en cause sa compétence » , note Corinne Lepage, députée européenne et témoin du scientifique.

L’affaire a débuté par des publications scientifiques dans des revues à comité de lecture. En 2007 puis en 2009, Gilles-Éric Séralini et son équipe étudient des données d’études menées par Monsanto sur trois variétés de maïs transgéniques, MON 863, NK 603 et le fameux MON 810. Il a fallu en passer par un procès jusqu’en cour d’appel en Allemagne pour que les données soient rendues publiques. Conclusions du chercheur : les études menées durant seulement trois mois sur des rats ne permettent pas de conclure statistiquement à l’innocuité des variétés sur la santé. L’AFBV, créée en 2009 à l’initiative de plusieurs personnes « conscientes de la situation catastrophique des biotechnologies vertes » , dont 60 % pourraient être liées à l’agro-industrie, a lancé la contre-attaque dès la seconde publication de Gilles-Éric Séralini. Soutenue par Claude ­Allègre et Axel Kahn, l’association déclare dans un communiqué de presse le 14 décembre 2009 que les travaux du chercheur ont toujours été invalidés par la communauté scientifique. Et réitère en janvier 2010 en envoyant un courrier le qualifiant de « marchand de peur » au Conseil supérieur de l’audiovisuel, en réaction à une émission du « Magazine de la santé » de France 5.

Gilles-Éric Séralini porte la controverse avortée sur la place judiciaire. Un déplacement du scientifique vers le citoyen. À ses côtés sur la péniche, avant le départ pour le tribunal de grande instance de Paris, des membres de la Fondation sciences citoyennes, dont les chercheurs André Cicolella et Christian Vélot ; des politiques, Corinne Lepage, de CAP 21, Philippe Martin, du PS, Marie-Christine Blandin, des Verts, Martine Billard, du Parti de gauche ; des militants de Nature et Progrès, ainsi que de la Confédération paysanne. On y croise aussi Philippe Desbrosses, pionnier de l’agriculture biologique, Serge Orru, directeur du WWF-France, ou encore Jean-Paul Jaud, réalisateur des films Nos enfants nous accuseront et plus récemment de Severn, caméra à la main.

Alors qu’une réunion publique se déroule dans la cale de la péniche et que Gilles-Éric Séralini affronte ses détracteurs au tribunal, une manifestation de soutien s’organise sur la place du Châtelet. Près de 300 personnes brandissent des pancartes : « Oui à l’expertise scientifique, non à l’expertise scienti-fric ! » Une pétition de soutien a rassemblé 12 000 signatures, dont plus de 800 de scientifiques français et internationaux. Sur la péniche, Louise Vandelac, professeur de sociologie à l’université du Québec à Montréal, prône l’ouverture de la recherche. « Au Canada, cela fait quarante ans que nous associons les citoyens à la recherche scientifique. » Des projets innovants sont évoqués. Comme ces partenariats institutions/citoyens, les Picri, mis en place en Île-de-France pour permettre la collaboration entre chercheurs, associations, citoyens et paysans sur des thèmes de recherche tels que la diversité semencière.

Des scientifiques autrefois attaqués dans leur travail de recherche viennent témoigner. Comme Pierre Meneton, mis sur écoute et suivi pour avoir dénoncé les risques cardiovasculaires d’une alimentation industrielle trop riche en sel. « Cela était-il motivé par les 6 milliards d’euros de manque à gagner pour l’industrie ou par les 100 morts par jour ? » , interroge-t-il. Corinne Lepage pose le problème démocratique : « Le décideur public ne sait pas. Il s’en réfère aux experts. Mais ceux-ci sont-ils vraiment ceux dont la société a besoin ? Actuellement, si l’état des connaissances ne permet pas de trancher sur un danger, la responsabilité des entreprises ne peut pas être engagée au moment de la mise sur le marché, en vertu du “risque de développement”, contraire au principe de précaution. Nous sommes tous des cobayes. » Un sentiment partagé par Christian Vélot. « Avec des expertises insuffisantes et non indépendantes, comme celle produite par Monsanto, ce sont en fait des milliers de substances qui ont été autorisées depuis cinquante ans. Mais la planète n’est pas une paillasse de laboratoire ! » , dénonce le chercheur, qui se dit par ailleurs conscient des atouts indéniables des OGM pour la recherche en laboratoire.

Dans la salle, les non-spécialistes sont bien conscients des enjeux. Certains sont engagés de longue date, comme cette militante du Corporate Europe Observatory, groupe qui travaille à Bruxelles pour décrypter l’action des lobbies. D’autres sont neufs dans le combat. « Je suis née en 1977, à la maison. C’est dire si mes parents étaient écolos, à une époque où il était ringard de l’être, raconte une jeune femme. Ils m’ont toujours mise en garde contre les “progrès scientifiques”. Aujourd’hui, je voudrais remercier les scientifiques ici présents de m’avoir réconciliée avec la science. » L’attente de la sortie de Gilles-Éric Séralini de l’audience prend des allures de veillée, alors que la nuit est tombée depuis bien longtemps. Catherine Bourgain, chercheuse en génétique et témoin au procès arrive après son audition. « J’ai dû défendre la pratique statistique de la science, expose-t-elle. C’est difficile car, en France, la République s’est fondée au XIXe siècle sur la science contre la religion. Être modéré en science, c’est aujourd’hui être antirépublicain, antiprogrès. Je défends une certaine posture d’humilité du chercheur. »
Gilles-Éric Séralini est accueilli sous les applaudissements. Le délibéré sera rendu le 18 janvier. « La question que pose ce procès est simple, au-delà, d’une part, de la diffamation et, d’autre part, de la complexité des faits scientifiques , conclut Corinne Lepage. Qui décide et sur la base de quoi ? »

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