À contre-courant / La folle époque qui est la nôtre

Jean-Marie Harribey  • 20 janvier 2011 abonné·es

Cent ans après la Belle Époque, c’est la « Folle Époque ». Le capitalisme a engendré une crise globale qui atteint tous les aspects de la vie en société. Ayant poussé sa logique de profit jusqu’à l’extrême, il engendre des idées aussi absurdes que lui-même. Malheureusement, face à lui, c’est l’impasse stratégique.

D’un côté, l’idéologie verse dans l’ubuesque et le cynisme. Copé, Novelli, Sarkozy, Parisot et Valls veulent se débarrasser de la notion de durée légale du travail, étant entendu que les 35 heures en elles-mêmes ont été contournées par les hausses du contingent annuel d’heures supplémentaires et les dérogations, et que leur coût a été plus que compensé par les gains de productivité.

La remise en cause de la durée légale du travail est très inquiétante par le projet de société qu’elle suppose. Augmenter la durée du travail va à l’encontre de tout nouveau mode de développement. Or, tout plaide pour que l’on reprenne une démarche de baisse du temps de travail, à la fois pour faire reculer vraiment le chômage, réduire la pénibilité du travail, et pour s’extraire d’une fuite en avant productiviste. Aucun obstacle économique ne s’oppose à l’objectif d’aller vers les 32 heures par semaine, seul le refus de changer une répartition des revenus devenue outrageusement inégale l’empêche. On retrouve donc là le même problème qu’au sujet des retraites. À une RTT qui répartit le travail à accomplir entre tous, la bourgeoisie préfère cette « RTT » qui condamne 10 % de la population active à travailler zéro heure pendant que 90 % voient leur temps de travail s’alourdir.

À un an de la campagne présidentielle, il est urgent de remettre le débat sur le temps de travail sur de bons rails. Ce ne sera pas facile, car il faudra s’opposer aux arguments malhonnêtes de la droite et à ceux hypocrites d’une partie de la gauche qui veut « déverrouiller » un acquis social après l’autre.
Et il faudra aussi convaincre ceux qui aspirent à une vraie politique de gauche de réfléchir au changement qu’impose la double crise sociale et écologique.

Le mouvement social vient d’être défait sur les retraites parce que le problème de l’affrontement avec le pouvoir ne fut jamais posé ni par les syndicats ni par les partis. Les uns et les autres sont dans une impasse stratégique. La social-démocratie a renoncé à envisager un dépassement du capitalisme. Et la gauche de la gauche hésite à se poser la question du pouvoir parce qu’elle refuse de parler d’alliances. Cela ne peut qu’avoir des répercussions sur le débat de fond.
Par exemple, au sein même des « économistes atterrés », se poursuit une discussion sur l’alternative « relance de la croissance ou bifurcation ». Il est sûr qu’il faut sortir du faux dilemme à court terme « croissance ou décroissance », car même si on diminue de façon drastique les productions nuisibles et prédatrices, il faudra par ailleurs d’énormes investissements pour reconvertir écologiquement l’économie, ce qui se soldera certainement pendant un temps par une augmentation de la production. Mais ce ne sera plus la croissance pour croître indéfiniment, comme un objectif en soi, indépendamment de la nature de la production, ni pour prétendument créer des emplois, car, par la RTT et les investissements de reconversion, on créera un nouveau lien entre les évolutions de la productivité, du temps de travail et du nombre d’emplois et la nature de la production.

Le conseil d’administration d’Attac vient de refuser d’initier avec la Fondation Copernic des « carrefours de la transformation sociale et écologique » qui approfondiraient le travail unitaire accompli sur les retraites en l’élargissant à l’ensemble des transitions à opérer. Cette décision aussi révèle l’impasse stratégique à laquelle conduisent un repli sur des questions séparées les unes des autres et une division du travail héritée du passé entre associations, syndicats et partis, en face d’un adversaire bien plus résolu et unifié. On ne peut se réclamer des contre-pouvoirs tout en niant la réalité du pouvoir. Pour sortir d’une « folle époque », il faut à la fois garantir l’autonomie des acteurs des mouvements sociaux et créer les conditions d’une stratégie d’unité populaire autour d’objectifs démocratiquement débattus.

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