Entre Maigret et Salomon

Affaires politico-financières, terrorisme, santé publique : le juge d’instruction est saisi des dossiers les plus sensibles, mais la fonction est menacée.

Ingrid Merckx  • 6 janvier 2011 abonné·es

Supprimer le juge d’instruction, Nicolas Sarkozy en rêve. Le chef de l’État a bien tenté de réaliser son vœu en 2009 en créant un juge « de l’instruction » dépendant du parquet, donc du pouvoir politique. C’était une des mesures phares de la réforme pénale, adossée au rapport Léger. Trop polémique, la proposition a été écartée. Car supprimer le juge d’instruction revient à remettre en cause l’indépendance de la justice et la séparation des pouvoirs, comme l’a confirmé la Cour de cassation le 15 décembre. Elle a estimé que le parquet ne peut être considéré comme une autorité judiciaire indépendante au sens de la Convention européenne des droits de l’homme. D’où l’intérêt de préserver les juges d’instruction.

Ils ne sont pourtant pas nombreux : environ 650 sur près de 8 000 magistrats en fonction dans les tribunaux. Un juge d’instruction ne choisit pas ses affaires, il est saisi par le procureur dans un cadre déterminé par le parquet. Il ne dépend d’aucune hiérarchie, mais son travail peut être contesté devant la chambre de l’instruction. Pour Renaud Van Ruymbeke, le juge d’instruction constitue « une garantie fondamentale, notamment dans les affaires où des milieux politiques, économiques ou financiers ­peuvent être mis en cause ; je citerais également les affaires de terrorisme et de santé publique [^2] » . Sans lui, pas d’affaire « du sang contaminé » (Marie-Odile Bertella-Geffroy), ni d’Angolagate (Philippe Courroye et Isabelle Prévost-Desprez), de « biens mal acquis » (Françoise Desset), d’affaires DCN (Françoise Desset et Jean-Christophe Hullin) ou Elf (Eva Joly). Pas plus de « faux électeurs du Ve » (Thouvenot et Périès), d’embrouillaminis OM-VA (Bernard Beffy) ou d’affaire Urba (Thierry Jean-Pierre).

Le juge d’instruction a certes des progrès à faire en matière de détention provisoire et de respect de la présomption d’innocence. Il travaille seul, d’où des propositions de multiplier cosaisines et collégialité. On déplore qu’il instruise à charge et à décharge. Et il est loin d’être infaillible, comme l’a cruellement rappelé l’affaire d’Outreau. Magistrat inamovible et indépendant, le juge d’instruction « n’est pas totalement juge, et pas totalement enquêteur, souligne le rapport Léger, Maigret et Salomon, pour reprendre l’expression célèbre de Robert Badinter » . « Le parquet dirige 96 ou 97 % des enquêtes, le juge d’instruction 3 à 4 %. […] Chacun est juge de sa propre enquête, sans recours possible pour beaucoup d’actes » , regrette l’ex-garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie.

Supprimer cette fonction, c’est sonner la « fin probable » des « affaires » : « Quelle sera la marge de manœuvre des procureurs soumis à l’autorité du garde des Sceaux lorsqu’ils auront à traiter des affaires politiquement sensibles ou qui mettraient en cause des proches du pouvoir ? » , interroge Renaud Van Ruymbeke. Aucune, comme le montrent quinze ans d’entraves du parquet.

[^2]: Journal du dimanche , 29 août 2009.

Publié dans le dossier
L'art d'enterrer les affaires
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