« Une indifférence aux élèves en difficulté »

Chercheuse en sciences de l’éducation, Nathalie Mons* explique comment l’enquête Pisa nourrit le débat sur les politiques éducatives et la remise en cause du collège unique.

Ingrid Merckx  • 27 janvier 2011 abonné·es

Politis : Comment expliquer l’accueil réservé depuis mi-décembre aux résultats des tests Pisa ?

Nathalie Mons : De façon générale, cette enquête est instrumenta­lisée par les politiques et les syndicats, chacun l’utilisant pour appuyer son point de vue, en lui faisant parfois dire ce qu’elle ne peut pas vraiment montrer. Les évaluations internationales des élèves existent depuis la fin des années 1950 et elles ont deux visages : un outil scientifique pour mieux connaître et comprendre les élèves, mais aussi l’instrument d’une compétition internationale. La nouveauté, c’est que, utilisées par les décideurs pour évaluer le « capital humain », elles sont désormais les pièces majeures d’une nouvelle forme d’action publique, politique et médiatique : le benchmarking.

A-t-on construit une école pour l’élite ?

Nous ne retrouvons pas en France certaines politiques éducatives qui confortent la production des élites et qui expliquent par exemple que les pays anglo-saxons figurant dans Pisa disposent d’une élite scolaire nombreuse. Il s’agit par exemple, au primaire comme au collège, de la création de groupes de besoins orientés sur les élèves les plus avancés, et, de façon générale, de programmes qui s’adressent en priorité aux élèves « doués ». On retrouve aussi des formes d’individualisation de l’enseignement au profit de l’élite dans des pays à filières comme l’Allemagne. Nous n’avons pas cela en France dans la scolarité obligatoire, ce qui ne veut pas dire qu’en toute illégalité certains collèges ne pratiquent pas des classes de niveau. Plutôt qu’une forte attention aux élites, la France est davantage marquée par une indifférence de fait au soutien des élèves en difficulté, qu’ils soient d’origine sociale défavorisée ou d’origine étrangère, les deux pouvant se cumuler. Des politiques comme l’assouplissement de la carte scolaire, qui ghettoïsent encore plus les établissements de l’éducation prioritaire, ou la faible place au soutien scolaire en sont des exemples.

Quel poids ces études ont-elles sur les politiques éducatives ? Pisa 2010 signe-t-elle l’échec de la démocratisation ?

Pisa concerne les élèves de 15 ans, donc principalement le collège. Or, le collège est le seul niveau d’enseignement qui n’a pas été réformé pendant ce quinquennat, contrairement au primaire et au lycée. Quand on entend parler aujourd’hui d’une réforme du collège, c’est surtout pour remettre en cause l’école unique et faire apparaître un système de filières. Or, Pisa et d’autres recherches montrent que l’école unique – modernisée, avec un enseignement individualisé, une absence de redoublement, des classes hétérogènes – est plus efficace et moins inégalitaire que l’école à filières. Le collège unique est associé à de meilleures performances en termes à la fois d’efficacité (le niveau de performance général des élèves) et d’égalité scolaire. Découper le collège unique en filières risque d’aggraver les inégalités et de réduire les performances générales.

Pisa montre aussi la corrélation entre élites scolaires, importance des élèves en difficulté et score global. Dès lors que les systèmes éducatifs visent à élever le niveau d’acquisition de tous, ils parviennent aussi à un score national important, des élites nombreuses, et réduisent l’échec scolaire. Pour avoir une bonne élite, il faut élargir son vivier de recrutement en poussant vers le haut l’ensemble des élèves. C’est pourquoi le collège unique ne doit pas être abandonné mais rénové.

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Une école pour l'élite ?
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