« Une nécessaire transparence »

Président de l’Association française des diabétiques, Gérard Raymond commente le rapport de l’Igas et appelle à une reconnaissance du droit d’alerte.

Ingrid Merckx  • 20 janvier 2011 abonné·es

Politis : Qu’avez-vous appris dans le rapport de l’Igas sur le Mediator publié le 15 janvier ?

Gérard Raymond : Ce rapport n’apporte que des confirmations. Mais c’est un réquisitoire violent contre l’institut Servier et le fonctionnement de l’agence du médicament, l’Afssaps. Ce qui était suggéré est officiel : le fait que Servier a fait pression sur des professionnels et qu’il a falsifié des documents pour continuer à commercialiser le Mediator. Il y a eu des pressions professionnelles et financières. Certaines personnes interrogées par l’Igas sont sorties en pleurs. On fait mine de découvrir aujourd’hui ce que tout le monde savait déjà, que Servier envoyait des visiteuses médicales triées sur le volet chez les médecins, par exemple… Le rapport dit aussi que l’Afssaps se trouve dans une situation de conflit d’intérêt, pas seulement du fait de son financement mais aussi de sa coopération avec l’industrie pharmaceutique et d’une forme de coproduction des expertises et des décisions. L’Association française des diabétiques (AFD) avait réussi à se procurer un certain nombre de documents et de témoignages concernant le Mediator, mais risquait de se faire balayer si elle sortait des preuves. L’Igas conforte aujourd’hui tous ceux qui alertent depuis quinze ans sur la molécule dangereuse contenue dans ce médicament.

Que pensez-vous de la réaction du ministre de la Santé, Xavier Bertrand ?

J’ai été très surpris de ses premières réactions, très fermées, vis-à-vis du Mediator. Aujourd’hui, il a pris conscience du scandale et considère qu’il faut réformer le système du médicament en profondeur, que l’indemnisation des victimes doit être faite par un fonds national et que ce n’est pas à la collectivité de l’abonder. On voit bien vers qui il entend se retourner… La prise en charge des victimes, le suivi de cette affaire, le lancement d’une enquête épidémiologique : tout ce que nous demandions a été accepté. Le ministre a également tourné le dos à la proposition scandaleuse de négociation à l’amiable entre chaque victime et le laboratoire Servier [suggérée par Georges-Alexandre Imbert, de l’Association d’aide aux victimes d’accidents du médicament, NDLR]. Je ne serais pas surpris que Servier annonce : « Je mets 15 millions sur la table pour solde de tout compte ! » Sauf que soigner une valvulopathie grave [dysfonctionnement des valves cardiaques, NDLR], c’est près de 5 000 euros par an pour l’assurance-maladie. Si les patients vivent une dizaine d’années et qu’on multiplie par le nombre de personnes concernées, on dépasse largement les 15 millions. Pas question qu’une fois de plus ce soient les victimes qui paient ! ­L’assurance-maladie va-t-elle se porter partie civile dans ce dossier ?

Les responsabilités politiques sont-elles suffisamment mises en avant ?

Le rapport affirme que différents ministres de la Santé et cabinets ont fait preuve de laxisme et de lenteur. Le réquisitoire porte d’abord sur ­Servier et l’Afssaps, et reste plus nuancé concernant les politiques. Mais c’est un rapport honnête qui pointe les responsabilités. Elles sont quand même à graduer : certains sont plus coupables que d’autres.

La fiabilité des autorités sanitaires est sérieusement remise en cause. À qui faire confiance ?

S’il y a une agence qui fait bien son boulot, c’est l’Igas. La Haute Autorité de santé ne peut pas en dire autant : elle a d’ailleurs pris un sérieux coup dans l’aile lors de la conférence de presse de Xavier Bertrand. Le système du médicament est très complexe. Un patient qui prend un médicament ne sait pas comment il arrive sur son ordonnance ni comment il en sort. Et les médecins, à peine. Des gens nous ont dit : « Le Mediator, c’est bien, puisque la Sécu rembourse ! » Mais l’assurance-maladie ne fait que suivre les ordres. D’où la nécessité d’instaurer une grande transparence concernant la procédure d’autorisation de mise sur le marché (AMM). Aujourd’hui, les AMM sont trop nombreuses, et la pression trop forte. L’industrie pharmaceutique fait partie des acteurs de la santé, mais son rôle doit être clairement défini. On est dans une telle opacité qu’on ne sait pas qui fait quoi, avec qui, et comment.

L’AFD, qui représente 3,5 millions de diabétiques, a ouvert une enquête auprès des personnes ayant consommé du Mediator. Quelles informations avez-vous recueillies ?

Près de 750 témoignages, dont 60 % de non-diabétiques. Des personnes confient : « J’ai pris du Mediator, on ne m’a rien dit dessus. On me l’a supprimé, on ne m’a rien dit non plus. » Certains qui en avaient encore ont donc continué à en prendre pendant des mois ! On note aussi la réticence de certains médecins à certifier qu’ils ont prescrit du Mediator.

Cette affaire va-t-elle entraîner une crise de confiance envers les médicaments et les professionnels de santé ?

Les médecins aussi ont été abusés : des visiteuses médicales charmantes leur assuraient que le Mediator était bon, des patientes voulaient à tout prix perdre du poids, ils prescrivaient… C’est tout le système qui est remis en cause : pourquoi la France compte-t-elle 20 000 visiteurs médicaux payés par les industriels et seulement 1 000 délégués de l’assurance-maladie ? Pourquoi ce n’est pas celle-ci qui communique sur l’AMM et les taux de remboursement ? L’assurance-maladie n’a pas les moyens de lancer des alertes ! Il va falloir que des acteurs minoritaires, tels que les associations de patients et les lanceurs d’alerte, soient reconnus et qu’ils soient intégrés dans les commissions mais aussi dans les conseils d’administration des agences sanitaires.

Le Mediator était mis en cause depuis 1999. Comment expliquer qu’on ait continué à en prescrire ?

Le doute a toujours bénéficié à l’industriel et au médicament. Des gens nous disent : « Je n’ai jamais pris de Mediator, mais je prends tous les jours mon cocktail de médicaments. Est-ce mauvais ? » Les Français consomment trop de médicaments, et les médecins en prescrivent trop. Si tout le monde commence à se méfier, et que les médecins sortent de leur dépendance vis-à-vis de cette industrie, la consommation nationale pourrait baisser. Le problème n’est pas la prise d’un traitement mais la multiplicité sur de longues périodes. Les malades chroniques sont donc en première ligne. Si vous avez pris du Mediator quelques jours, ce n’est pas très grave. Pendant vingt ou trente ans, c’est autre chose. Derrière le Mediator, une série de médicaments sont sujets à caution. Une mise sur le marché devrait être accompagnée d’un suivi de plusieurs années sur une cohorte de patients pour observer les effets. Pourquoi ne pas profiter aussi de ce scandale pour créer une Haute Autorité de l’expertise ? L’État est le garant de notre état de santé. Nous attendons qu’il reprenne la main.

Société
Temps de lecture : 6 minutes