Une ‘tite devinette …

… y avait longtemps !

Bernard Langlois  • 18 janvier 2011
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De qui la diatribe ci-dessous et à qui s’adresse-t-elle ? Et accessoirement, où a-t-elle paru et dans quel ouvrage récent la retrouve-t-on mentionnée ?

«Honneur, fidélité, patrie : pourquoi faire sonner à vos oreilles des mots dont le sens vous échappe ? »

«Vous saviez, en partant pour l’Allemagne, exactement ce que vous faisiez.»

«Vous saviez que l’Allemagne hitlérienne poursuit l’anéantissement de la culture française, que sa police jette en prison les écrivains suspects de patriotisme ; que ses prétendus services de propagande ont pour tâche d’étouffer toute manifestation de la pensée française, et d’abaisser systématiquement le niveau de la production littéraire française ; vous saviez — car les dirigeants hitlériens n’en font pas mystère — que l’ “ordre nouveau” réserve à Paris un rôle d’obscure ville de province, que Berlin rêve de devenir la capitale intellectuelle dune Europe asservie.»

«Vous saviez que la plus grande honte pour un écrivain, c’est de participer à l’assassinat de la culture nationale dont il devrait être le défenseur. Vous ne l’ignoriez pas.»

«Mais vous êtes partis, car vous ne vous souciez ni de la France, ni de la culture. Vous avez renoncé au beau titre d’écrivain français, à ce titre lourd d’honneur, de responsabilité, de danger. Vous avez mieux aimé vous attacher comme esclave au char de l’ennemi que de mener la lutte glorieuse contre la barbarie.»

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Jeudi 20/01, Réponse :

Il s’agit bien, en effet, de trois écrivains résistants — Jacques Decour, Georges Politzer et Jacques Salomon —, s’adressant, en décembre 41, à ces autres écrivains qui avaient accepté d’être les hôtes de l’Allemagne nazie, dont quelques-uns posent à leur retour aux côtés du lieutenant Gerhard Heller (l’homme de la Kommandantur en charge des affaires culturelles) :

Illustration - Une ‘tite devinette …

On reconnaît, de gauche à droite : Drieu La Rochelle, Rabuse, Brasillach, Bonnard (dit : “la gestapette” ), Fraigneau et Bremer. Manquent Chardonne, Fernandez et Jouhandeau.

La lettre fut publiée dans une feuille clandestine, L’Université libre , fondée par Politzer, qui devint par la suite La Pensée libre , embryon du Comité national des Ecrivains, satellite du PCF (nos trois auteurs étaient du reste membres du Parti.)

Tous trois furent fusillés en mai 1942, après avoir été torturés sans jamais parler.

Jacques Decour avait 32 ans. Le jour de son exécution,il écrivit ceci à ses parents : « Vous savez que je m’attendais depuis deux mois à ce qui m’arrive ce matin, aussi ais-je eu le temps de m’y préparer, mais comme je suis sans religion, je n’ai pas sombré dans la méditation de la mort ; je me considère un peu comme une feuille qui tombe de l’arbre pour faire du terreau. La qualité du terreau dépendra de celle des feuilles. Je veux parler de la jeunesse française, en qui je mets tout mon espoir. »

**(Et ces citations sont extraites du beau livre de Dan Franck, Minuit (Grasset),

Illustration - Une ‘tite devinette …

qui retrace la vie intellectuelle et artistique sous l’Occupation …)
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