Algérie : les généraux tremblent

La manifestation du 12 février à Alger, appelée dans la liesse de la chute d’Hosni Moubarak en Égypte, s’est heurtée à un énorme dispositif policier. Mais le mouvement n’est pas terminé. Reportage de Meriem Laribi.

Meriem Laribi  • 17 février 2011 abonné·es

Ce 12 février, une ambiance électrique règne place du 1er-Mai à Alger, et les regards sont désorientés. Depuis 9 heures du matin, des centaines de manifestants affluent. Tout peut arriver, et tout le monde le sait. Il a fallu du courage pour venir jusqu’ici à l’appel de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), qui réunit différents partis d’opposition, des associations et des syndicats. Depuis 2001, il n’y a pas eu de manifestation à Alger, et la dernière a été sauvagement réprimée. Quelle serait l’attitude du pouvoir ?

Des signes laissaient supposer qu’il ne réagirait pas férocement : cela n’aurait pas été à son avantage après ce qui s’est passé en Égypte et en Tunisie. Mais il ne pouvait pas non plus laisser la manifestation grossir, et cela pour les mêmes raisons. Par ailleurs, des visas avaient été accordés à une quarantaine de journalistes étrangers, que le gouvernement n’allait évidemment pas mettre en danger. Alors, qu’allait-il donc faire face aux milliers de manifestants réunis ?

L’accès à la place du 1er-Mai était possible à pied. Les gens ont donc pu arriver au rendez-vous. Mais, dès qu’un groupe de quelques centaines de personnes se formait et tentait d’avancer, une rangée de policiers des Unités républicaines de sécurité (URS), avec casques et boucliers, leur barrait la route, les contraignant à reculer sans violence. Assez fermement cependant pour créer des mouvements de panique toutes les dix minutes.

Les manifestants répliquaient en scandant : « C’est une marche pacifique » et « Le policier est fils du peuple » , tentant de rallier les forces de l’ordre à leur cause. Celle du changement de régime et de la renaissance d’un mouvement populaire qui a depuis trop longtemps dû taire ses revendications.

Pas de cortège de tête puisqu’il n’y avait aucun moyen d’avancer. Peu de banderoles. Et ceux qui en ont brandi ont été interpellés sans ménagement dès leur arrivée. Des policières, mobilisées pour arrêter les manifestantes, se sont montrées, elles, d’une rare violence, empoignant les femmes brutalement et les traînant par les cheveux jusqu’au panier à salade. Il s’agissait visiblement d’empêcher la guerre de l’image. Il fallait surtout que cette manifestation apparaisse sans importance, minimiser l’adhésion populaire aux yeux du reste des citoyens et du monde. Des petits groupes de jeunes, visiblement sous l’emprise de drogues ou de l’alcool, sont venus scander des slogans pro-Bouteflika mais ils se sont calmés quand les manifestants ont tenté de les rallier en clamant : « Soyons des frères unis pour faire tomber le pouvoir. » Quelques-uns parmi les « pro-pouvoir » criaient : « Donnez-nous 200 dinars [1,50 euro] et on manifeste avec vous. » Ce qui donne une idée des moyens utilisés pour récupérer des gens…

Pourtant, cette manifestation était bien celle du peuple. Les femmes étaient en grand nombre, les personnes âgées aussi. « Nous sommes fatigués par cette dictature, nous confie un vieux monsieur venu avec son fils. Cinquante ans, cela suffit. Les martyrs de la révolution sont morts pour le droit, pas pour installer l’injustice. » Une mère de famille renchérit : « Je suis venue marcher pour mes enfants et mes petits-enfants. Nous sommes obligés de payer des écoles privées parce que l’école est sinistrée, on ne peut pas se soigner parce que les hôpitaux sont dans un état calamiteux, et on ne peut pas boucler nos fins de mois. Je crois que la classe moyenne n’existe plus en Algérie. »

Le rassemblement s’est achevé vers 15 heures. Quelques heurts ont éclaté dans plusieurs quartiers, la police a même tiré à balles réelles. La CNCD appelle à une nouvelle manifestation samedi 19 février. Le début d’un processus qui fait écho à la Tunisie et à l’Égypte.

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