Grève des magistrats : « Le politique doit assumer ses propres responsabilités »

Les professionnels de la justice ont montré leur indignation cet après-midi, partout en France. Reportage à Paris, où près de mille manifestants s’étaient mobilisés.

Erwan Manac'h  • 10 février 2011 abonné·es
Grève des magistrats : « Le politique doit assumer ses propres responsabilités »
© Photos : Erwan Manac'h / Politis

En rangs serrés sur les marches du Palais de justice de Paris, sobrement mais en nombre, les magistrats, avocats, fonctionnaires de la justice, éducateurs et autres associations d’insertion ont voulu dire leur ras-le-bol, ce jeudi 10 février.

De l’avis général, les propos de Nicolas Sarkozy et de ses ministres étaient la « goûte d’eau qui fait déborder le vase » . « Cela fait des années que la magistrature tire la sonnette d’alarme , estime Maître Peletier, avocat au barreau de Paris. Nous avons aujourd’hui dépassé l’inacceptable. »

Dans les rangs des magistrats et avocats en robe, quelques rares banderoles demandent des moyens pour une justice digne. Hormis les huées qui montent par instants, pas de slogans ni de tapage ; la profession n’est pas coutumière des manifestations. Mais l’indignation a rassemblé au-delà des clivages politiques.

« Nous sommes venus exprimer notre révolte contre les propos de Nicolas Sarkozy , explique une conseillère à la cour d’appel de Versailles qui préfère conserver l’anonymat, présente à Paris par solidarité. Nous souhaitons juste faire notre métier dignement.»

Un mouvement sans précédent

« Je n’ai jamais vu une telle mobilisation depuis que je suis entré dans la magistrature en 1985 » , insiste une magistrate, sans hausser le ton, dans sa large robe rouge. Un constat partagé par le petit millier de personnes rassemblé sur les pavés, devant le Palais de justice.

Maître Peletier, avocat au barreau de Paris, excédé.


Illustration - Grève des magistrats : « Le politique doit assumer ses propres responsabilités »

« La justice est dans un état de pauvreté très avancé. Nous n’avons pas les moyens de travailler convenablement , explique une magistrate. À cela s’ajoute en plus le mépris incessant venant de la plus haute autorité de l’État. »

« Nous travaillons dans des conditions matérielles d’un autre temps , explique le président du tribunal pour enfants de Bobigny, Jean-Pierre Rosenczveig. À Bobigny, nous sommes 14 juges pour une seule salle d’audience. À l’autre bout de la chaîne il y a beaucoup de mesures qui ne sont pas appliquées, faute de moyens. »

Autre grief au-delà de la question des moyens, la pression que les politiques exercent de plus en plus sur les magistrats. « Actuellement, pour des raisons politiciennes, l’équilibre n’existe plus au sein des tribunaux pour que nous rendions des décisions sereinement » , estime Jean-Pierre Rosenczveig.

Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny.


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Dans le groupe compact qui a pris place devant l’imposante bâtisse, au cœur de l’île de la Cité à Paris, il y a pourtant peu de magistrats. La foule se compose surtout d’avocats, d’éducateurs et de professionnels de justice… solidaires. « Indirectement, le manque de moyens de la justice a des répercussions sur notre travail , explique Maître Peltier, avocat au barreau de Paris. Les délais s’allongent pour le jugement des affaires et c’est toujours le justiciable qui en pâtit. »

Toute la chaîne pénale s’est retrouvée dans ce mouvement d’indignation spontané, dont on ignore quelles seront les suites.
« Pour le moment nous sommes dans une situation de blocage total , analyse Christian Peltier. Nous attendons un signe d’apaisement de l’Élysée, que Nicolas Sarkozy revienne sur ses déclarations. »

« Nous attendons quelques paroles sages de pondération , insiste Jean-Pierre Rosenczveig, que l’on parle de « présumé innocent » et non plus de « présumé coupable ». Il faut remettre les choses dans le bon ordre.
Et puis, en somme, la seule chose qui pourrait nous faire reprendre les audiences, c’est que le politique admette ses propres responsabilités. »

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