Haro sur le sang de cordon

Le sang de cordon ombilical est très précieux pour des greffes et pour la recherche. En France, sa collecte est insuffisante. Mais déjà industriels et escrocs divers flairent le bon filon.

Noëlle Guillon  • 24 février 2011 abonné·es

Il est 16 h 05, Enzo arrive au monde. Il pèse 3,8 kg et vient d’offrir 77 ml de sang de son cordon ombilical pour sauver une vie. Effectué par une sage-femme de l’hôpital privé Paul-d’Égine, à Champigny-sur-Marne, juste avant la délivrance du placenta, le prélèvement est indolore et gratuit. Les frais sont pris en charge par une fondation privée à but non lucratif, la Fondation générale de santé. L’échantillon qui contient les précieuses cellules souches va être acheminé vers l’Établissement français du sang (EFS), à Créteil. Il y sera stocké en vue d’une greffe chez un patient atteint d’une maladie hématologique ou génétique. « Seuls 30 % des échantillons présentent les qualités requises pour une greffe, le reste part à la recherche ou sera détruit » , explique Laurence Lasnes, sage-femme à Paul-d’Égine.

Les besoins en sang de cordon sont importants. En 2009, 247 patients français ont pu profiter d’une greffe « allogénique », soit réalisée avec le sang d’un donneur. Une technique qui représente une alternative à la greffe de moelle osseuse. En outre, le sang de cordon contient des cellules souches prometteuses dont l’utilisation ne pose pas de problème éthique particulier puisque le prélèvement initial a lieu sur un organe qui n’appartient plus ni à la mère ni au bébé, et part d’ordinaire à la poubelle. Le cordon lui-même contient des cellules souches qui pourraient constituer une alternative à la recherche sur les cellules souches embryonnaires, voire une concurrence…
Mais pas de quoi exciter ou inquiéter qui que ce soit pour l’instant, car à peine plus de 10 000 échantillons sont stockés en France, trop peu pour l’utilisation purement thérapeutique en greffe. Il faudrait pouvoir en stocker au moins 50 000 pour disposer d’une bonne représentativité génétique, car tous les sangs ne sont pas compatibles. Ce qui fait que, dans plus de 60 % des cas, les greffons sont importés d’autres réseaux nationaux, notamment des États-Unis.

Chargée d’encadrer le réseau français de sang de cordon, l’Agence de la biomédecine entend passer de 29 maternités participant à la collecte à 60 en 2011. Les mères qui accoucheront dans ces établissements seront incitées à donner. En général, elles acceptent facilement. Mais elles sont rarement bien informées sur le devenir des échantillons. « Je ne savais pas qu’ils pouvaient être utilisés pour la recherche. Je serais d’accord en principe, mais pas pour n’importe lesquelles » , témoigne Stéphanie, jeune mère. « C’est vrai qu’on n’évoque pas cette dimension lors de la consultation d’information , reconnaît Laurence Lasne, mais c’est précisé dans le formulaire de consentement. »

Formulaire où, curieusement, seul le consentement de la mère est requis…
À l’instar des donneurs, peu de professionnels semblent très au fait du devenir des échantillons. Pour sa part, Laurence Lasne est certaine que les recherches ne visent qu’à « améliorer la technique de greffe ». En réalité, elles sont extrêmement variées. Domaine peu connu : quelques équipes travaillent sur les cellules du sang de cordon dans l’espoir de pouvoir régénérer des organes du type rein ou peau. « Mais trop peu s’intéressent à la médecine régénérative et à la thérapie cellulaire » , déplore Pierre Le Coz. Professeur de philosophie à l’université de Marseille et vice-président du Comité consultatif national d’éthique, il y voit une possibilité, à terme, d’éviter ainsi les dons d’organes « obligatoires » générateurs de tensions au sein d’une même famille. « Le législateur a confié le monopole de l’utilisation du sang de cordon à l’Agence de la biomédecine, qui se concentre en priorité sur les greffes et néglige la recherche » , regrette-t-il.

Mais d’autres en tirent déjà profit : des banques privées qui, en vendant un espoir lointain, proposent de stocker du sang de cordon pour un usage personnel futur (voir encadré). Ce qui est non seulement interdit, trompeur (aucune garantie que les recherches aboutissent) mais aussi socialement risqué : seuls ceux qui auraient les moyens de payer collecte et conservation pourraient espérer être soignés de cette manière. Entre droits des donneurs et droits des chercheurs, l’équilibre reste à trouver. D’où l’intérêt d’améliorer l’information et de mettre en place des protocoles avant que les industriels imposent leurs règles.

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