Le leurre de la vidéoprévention

Christine Tréguier  • 24 février 2011 abonné·es

Lors de son show télévisé sur TF 1, le chef de l’État vantait encore
les mérites des caméras de surveillance pour prévenir la délinquance.
À entendre certains maires, pressés par les ministres de l’Intérieur successifs et les préfets-VRP de faire grimper le nombre de caméras installées dans l’espace public, la « vidéoprotection » serait l’arme miracle pour assurer la sécurité et la tranquillité des braves gens. Avec elles,
la police pourrait intervenir avant même que le délit ne soit commis,
les voyous seraient arrêtés en flagrant délit, ou identifiés a posteriori. Pourtant, plus les implantations s’accroissent, plus les preuves
de l’inefficacité des caméras s’accumulent.

En juillet 2010, la cour des comptes de Rhône-Alpes, après étude
du dispositif des 124 caméras installées à Lyon (sur 219 prévues),
concluait : « En l’état actuel des données, relier directement l’installation
de la vidéosurveillance et la baisse de la délinquance est pour le moins hasardeux »
, observant même que celle-ci avait davantage baissé à Villeurbanne, qui n’a pas
de caméras. Pour le sociologue Laurent Mucchielli, qui a étudié le rapport, « l’impact de la vidéosurveillance sur la délinquance constatée
par la police nationale à Lyon est de l’ordre
de 1 % (par caméra) »
et de 1,6 % pour l’élucidation. Bien peu au regard des 7, 3 millions d’euros investis depuis 2003.

En décembre c’était au tour de Nice, dont Christian Estrosi a entrepris de faire la vitrine
de la vidéosurveillance, de faire son bilan.
Les 624 caméras installées (100 de plus sont prévues) déçoivent. Selon les statistiques policières, le nombre des atteintes aux personnes n’a pas franchement baissé (17 670 en 2010
contre 17 909 en 2009), et 213 interpellations
sur les 2 059 effectuées par la police municipale sont liées aux caméras. Pas d’effet dissuasif ou préventif, donc, et un taux d’élucidation de l’ordre de 0,34 % par tête de caméra. Là non plus,
pas de quoi justifier les millions investis, ni les subventions empochées.

Boulogne-Billancourt vient à son tour de se faire épingler par un rapport de la cour des comptes d’Île-de-France : sur 32 caméras installées, 6 sont hors d’usage depuis lurette. La mairie a également attendu 2010 pour installer un centre de visionnage. Au final, 593 000 euros dépensés, dont 240 000 euros de subventions, pour que le commissariat procède à huit réquisitions judiciaires d’images pour les besoins de ses enquêtes en 2007, huit autres en 2008 et une seule en 2009. Maigre !

Enfin, le Conseil national des villes (CNV) a émis une recommandation très sévère adressée au gouvernement, qui s’apprête à renouveler
la dotation du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). Abondé en grande partie par les recettes de nos contraventions, ce fonds est majoritairement dédié au financement de la vidéoprotection. En 2010, 30 millions d’euros, sur un budget total de 35 millions, y ont été consacrés et, d’après Jean-Pierre Blazy, coprésident du groupe de travail
sur la prévention de la délinquance au CNV, le gouvernement s’apprêterait
à maintenir cette proportion pour 2011. Il souligne le caractère « disproportionné » de ces crédits, qui sont au détriment des actions « humaines » et d’une réelle prévention sociale et éducative.
Le CNV douterait-il lui aussi des vertus de la vidéoprévention ?

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