Comment rassurer… sans rien changer ?

La classe politique française, largement pronucléaire, essaye par tous les moyens d’éluder la véritable question : celle d’une sortie progressive du nucléaire.

Olivier Doubre  • 24 mars 2011 abonné·es

Imaginons un instant qu’après un grave accident d’avion certains responsables politiques se mettent à s’interroger sur la sécurité aérienne. Personne ne les accuserait alors d’ « instrumentaliser » la catastrophe. C’est pourtant ce qu’a fait une bonne partie de la classe politique française lorsque les écologistes ou les militants antinucléaires ont demandé que l’on réfléchisse à la fin de cette dangereuse industrie de l’atome, alors que les bâtiments des réacteurs de Fukushima explosaient l’un après l’autre. On voit bien ainsi que le nucléaire est un sujet tout à fait à part en France, et que le remettre en cause déclenche les passions, voire une certaine fureur, chez presque tous les partis politiques (du PCF à l’UMP, du PS au FN).

Pour la plupart de leurs responsables, ce dogme du nucléaire, supposé être le garant de notre indépendance énergétique (bien que 0 % de l’uranium consommé dans les centrales françaises ne soit produit en France…), ne saurait être remis en question. Il s’agit donc pour eux de contrer toutes les propositions conduisant à s’interroger sur le seul véritable enjeu, celui d’une sortie du nucléaire – forcément progressive. Ainsi, sur Le Monde.fr, Najat Vallaud-­Belkacem (PS), proche de Ségolène Royal, s’en est-elle prise aux Verts qui ont « osé » appeler à s’engager, comme les Allemands l’ont fait, dans un processus d’abandon du nucléaire : « Il y a une forme d’indécence à politiser aussi rapidement ce qui est d’abord une catastrophe humaine. Les Japonais pleurent leurs morts, ­faisons d’abord preuve de solidarité. » Mais, sur le fond, l’élue lyonnaise se contente d’interpeller le gouvernement pour demander un simple « point sur le parc nucléaire français » , « sa sécurité » et l’organisation future d’un « débat public » .

On a là comme un résumé de l’actuelle stratégie des pronucléaires français. Sentant bien que les craintes de l’opinion publique progressent, depuis la ­catastrophe de Fukushima, quant à la sécurité et l’énorme concentration de centrales sur le territoire français, nos responsables politiques proposent, d’un côté, un large débat sur l’énergie en général (comme Nicolas Sarkozy lui-même, après avoir pourtant exclu toute discussion sur la question du nucléaire lors des Grenelle de l’environnement) ; et, de l’autre, un « audit » sur la sécurité de notre filière nucléaire (Martine Aubry), un « état des lieux du parc nucléaire français » (Benoît Hamon).

Si, du côté du gouvernement, on joue ­aussi la carte de la sécurité, c’est en conti­nuant d’arguer que la France aurait « la technologie la plus sûre » (Nicolas Sarkozy), et même qu’elle aurait choisi « la carte de la transparence en matière d’énergie nucléaire » (Éric Besson) ! Mais, pour rassurer les moins « confiants » , on annonce ensuite qu’on va lancer de nouveaux programmes d’inspection et renforcer contrôles et procédures de sécurité. Des ­déclarations in fine assez contradictoires : pourquoi faire un audit, de nouvelles inspections, annoncer une « surveillance accrue » (François Fillon), si l’on est les « meilleurs du monde » en matière de sécurité et de « gestion du risque »  ?

Enfin, du côté des tenants de la « grandeur » et de « l’indépendance » françaises, aussi bien au Front national que chez le très ­républicain Nicolas Dupont-­Aignan, on demande un contrôle majeur de la part de l’État de la production de cette énergie « dont on ne saurait se passer » . Le député de l’Essonne a lui aussi vilipendé « les écologistes » , qui « feraient mieux de poser la vraie question, celle d’une renationalisation complète de toute la filière » . Si l’on sait qu’une partie des ­activités de maintenance est en effet sous-traitée à des sociétés privées (voir p. 12), on sait également que le caractère public de la filière ne garantit en aucun cas un accès à l’information de l’opinion publique, ni même du Parlement. C’est même plutôt le mutisme qui a toujours tenu lieu de pratique ! Une pratique qui, longtemps, a bien arrangé tout le monde, mais est de plus en plus difficile à tenir désormais.

Publié dans le dossier
Libye, la guerre du moindre mal
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