Délit de solidarité avec les Palestiniens

Pas moins de six procès contre des militants de la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS), qui dénonce la colonisation israélienne, ont eu lieu depuis un an. Retour sur l’histoire d’un acharnement.

Jennifer Austruy  • 24 mars 2011 abonné·es
Délit de solidarité avec les Palestiniens

Cette fois, le tribunal d’instance de Bobigny ne statuera pas. Les militants pro-palestiniens rassemblés non loin de l’entrée ce 17 mars n’auront guère l’occasion de donner de la voix. Une bataille de procédure a permis à la défense d’obtenir un renvoi. Les quatre militants de la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) comparaîtront une autre fois (voir encadré). Ils ne sont pas seuls à répondre devant les tribunaux français de leur action politique en solidarité avec les Palestiniens. Depuis un peu plus d’un an, les affaires de ce genre se multiplient. Retour aux origines d’une campagne qui, en dépit, des menaces de répression, gagne en audience.
C’est en 2005 que la société civile palestinienne a appelé la communauté internationale au boycott, au désinvestissement et aux sanctions à l’encontre de l’État d’Israël pour sa politique colonialiste. De nombreuses associations à travers le monde se sont alors réunies pour coordonner des actions. Elles appellent à boycotter les marchandises fabriquées dans les colonies israéliennes puis exportées, et à faire pression sur les multinationales qui y investissent. Ce boycott, à l’image de celui de l’Afrique du Sud dans les années 1980, vise à exercer une ­pression sur les gouvernements de chaque pays pour les inciter à sanctionner Israël. En France, la campagne BDS a réellement pris son essor en 2009, après les massacres perpétrés par l’armée israélienne à Gaza. La charte de cette campagne précise toutefois qu’il ne s’agit pas de discriminer la population israélienne, mais que cette action « éthique, citoyenne et politique » s’inscrit dans un « combat permanent contre toute forme de racisme et d’antisémitisme » .

La vague de procès contre les militants de la campagne BDS, appelant au boycott des produits en provenance d’Israël dans les supermarchés, ne serait pas étrangère au revirement idéologique de Michèle Alliot-Marie entre 2009 et 2010. Alors ­ministre de la Justice, MAM avait commencé par défendre les militants devant le Parlement, avant de les faire passer pour des antisémites notoires. Elle faisait en 2009 la distinction claire entre produits casher et importés d’Israël avant d’en faire l’amalgame devant le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) à Bordeaux en février 2010. Elle y déclarait alors : « Je n’accepte pas que des personnes, responsables associatifs, politiques ou citoyens, appellent au boycott de produits au motif qu’ils sont casher où qu’ils proviennent d’Israël. » Et d’ajouter : « J’ai donc adressé une circulaire aux parquets généraux, leur demandant d’identifier et de signaler tous les actes de provocation à la discrimination » , juste avant de saluer « la détermination du parquet de Bordeaux » dans l’affaire Sakina Arnaud [^2]. Depuis, le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA), une obscure officine montée par un ancien policier, se targue d’avoir porté plainte contre une centaine de militants pro-palestiniens, dont Stéphane Hessel. Au total, pour l’instant, une trentaine de militants se sont retrouvés devant les tribunaux.

Depuis le premier procès à Bordeaux, cinq autres ont suivi, toujours pour le même motif : « Discrimination à l’encontre de l’État d’Israël » . Seul celui de Créteil a abouti à une condamnation. Mais, selon une coordinatrice de la campagne, « c’est un cas spécifique, nous n’avons été informés du procès que le matin même » . À Pontoise, la sénatrice Alima Boumediene-Thiery et le militant NPA Omar Slaouti ont été relaxés pour vice de forme entraînant la nullité de la procédure. Les trois autres, à Perpignan, à Mulhouse et à Bobigny, ont été reportés en attendant la réponse de la Cour de cassation quant à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) [^3] soulevée par la défense à chaque procès. En effet, selon les avocats des militants, Antoine Comte et Gilles Devers, la qualification de l’infraction n’aurait aucun rapport avec les actions d’appel au boycott dans les supermarchés. Tombant sous le coup du droit de la presse, les militants sont accusés de « discrimination » et d’ « incitation à la haine raciale » . « Cette accusation est idiote » , rétorque Antoine Comte, expliquant : « La loi sur la liberté de la presse vise la discrimination à l’encontre des gens, pas des produits. » Par ailleurs, « le boycott est interdit quand il entrave l’activité économique, ici, il ne s’agit que d’appels » . Selon plusieurs sources, la France serait le seul pays au monde à poursuivre des militants pro-Palestine pour leurs appels au boycott des produits israéliens.

[^2]: Cette militante BDS, a été condamnée à 1 000 euros d’amende pour incitation à la haine raciale pour avoir apposé des autocollants « Boycott Israël » sur des produits dans un supermarché. Son affaire a été renvoyée devant la Cour de cassation après avoir été rejetée en appel en septembre 2010.

[^3]: En vigueur depuis un an, la QPC permet à tout citoyen de saisir le Conseil constitutionnel sur la conformité d’une loi susceptible de lui porter préjudice.

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