Des bambins, pas des sardines !

La dégradation des conditions d’accueil en crèche nuit aux enfants, au personnel et au travail des mères, alerte le collectif Pas de bébés à la consigne, qui a relancé la mobilisation le 11 mars.

Ingrid Merckx  • 17 mars 2011 abonné·es
Des bambins, pas des sardines !
© Photo : KOVARIK / afp

«Sans mettre les pieds dans une crèche, difficile de se rendre compte, prévient Maria, auxiliaire puéricultrice dans un établissement municipal à Paris. Mais prenons un exemple : chez les bébés (3 à 15 mois environ), on est censées être une pour cinq à l’heure du repas, ce qui génère déjà une drôle d’organisation puisqu’il faut faire patienter les uns pendant qu’on s’occupe des autres, et s’adapter à l’âge (biberon ou cuiller) et au rythme de chacun. Or, actuellement, on est déjà à une pour sept, voire neuf ou dix, à l’heure du repas, vous imaginez ? » Des marmots qui protestent, d’autres qui, devant le rythme imposé par le nombre, se désintéressent de l’affaire, et des auxiliaires qui s’en veulent de ne pas bien accompagner chacun dans cet instant clé de la journée.

Même problème au moment de la sieste (enfants qui dorment mal), des changes (irritations, pleurs), des activités (apprentissages ralentis ou perturbés), etc. C’est le résultat du « surbooking », un mal qui concernait les compagnies aériennes et frappe désormais les structures d’accueil de la petite enfance. La logique est la même : le moindre espace libre doit être occupé, même pour quelques heures, les structures doivent être pleines à 110 %, voire 120 %, les personnels réduits et moins qualifiés. C’est ce que le gouvernement appelle « optimiser les services », et que Pas de bébés à la consigne nomme « dérégulation et déprofes­sionnalisation » . Raison pour laquelle ce collectif a lancé, avec une journée de grève le 11 mars, « l’acte II » d’un mouvement sans précédent dans le secteur. Il s’agit de renouveler la mobilisation inédite du 11 mars 2010 et de diffuser un Plan d’urgence en faveur de l’accueil de la petite enfance [^2].

Dès avril 2009, Pas de bébés à la consigne faisait circuler une pétition « pour des modes d’accueil et de qualité » . « Nous étions peu nombreux , glisse Sylvain Marchand, responsable CFDT et membre du collectif, lors d’une conférence de presse organisée le 9 mars à Paris. Mais le 11 mars 2010 est à marquer d’une pierre blanche : on attendait 2 000 personnes, on était 8 000 à Paris ! » Plus de 50 % de grévistes dans toute la France, des centaines d’établissements fermés : une première dans un milieu peu syndiqué. « C’est aussi cela qui a séduit avec le collectif : il est surtout porté par des associations de professionnels, psychologues petite enfance, éducateurs de jeunes enfants, auxiliaires de puériculture, assistantes maternelles… » L’émergence fulgurante de ce mouvement est venue signaler des conditions de travail déjà critiques : « Le collectif s’est constitué sur la base d’une révolte. » L’arrivée du décret Morano faisant déborder le vase. Ce texte, finalement passé en juin dernier, malgré la fronde, prévoit notamment d’autoriser certains établissements à passer de 110 % à 120 % d’occupation, d’abaisser le taux de personnels les plus qualifiés de 50 % à 40 %, et de créer des ­ « jardins d’éveil » privés avec des taux d’encadrement passant de 1 adulte pour 8 enfants à 1 pour 12.

« Nous demandons le retrait de ce décret, tout n’est pas joué , assure Pierre Suesser, pédiatre en PMI et membre du collectif. Le secteur reste fortement mobilisé et cet Acte II répond à une attente » . Témoins : les différentes actions programmées le 11 mars.

Même sans le décret Morano, les structures sont déjà hors de souffle du fait du non-remplacement des absences, y compris celles de longue durée. Un certain nombre de villes, dont Paris, ont déclaré qu’elles n’appliqueraient pas ce texte. Mais quelle est la pérennité de cet engagement ? En outre, s’il est difficile pour certains établissements d’augmenter leur nombre de places, ceux qui verront le jour en 2013-2014 pourraient intégrer les normes de surbooking. Et c’est bien ce qui inquiète les professionnels dans un pays où la natalité et l’activité des femmes sont parmi les plus fortes d’Europe. Comment défendre le travail à temps plein des femmes sans défendre l’accueil à temps plein des enfants ? À peine un enfant sur deux âgé de moins de 3 ans bénéficierait d’un mode d’accueil individuel ou collectif. Et le taux d’activité des mères de petits enfants serait de 68 % d’après le collectif, qui évalue les manques à 500 000 places. Le gouvernement a annoncé 200 000 créations dont la moitié en accueil individuel. « Un leurre » , selon Pas de bébés à la consigne : « On remplace des solutions d’accueil par des places d’accueil en proposant des temps partiels d’accueil collectif. » Ce qui permet d’améliorer les taux d’occupation sans créer de places supplémentaires. « Certaines crèches débloquent des possibilités d’accueil deux jours par semaine, ou à mi-temps, confie Sylvain Marchand. Les parents acceptent en espérant que cela débouche sur un plein-temps et complètent soit eux-mêmes, soit avec une assistante maternelle à temps partiel assortie d’une baby-sitter… » Résultat : des organisations multimodes, complexes et onéreuses. « Certaines structures préfèrent fermer une section plutôt que d’accueillir mal, car derrière, il y a toujours la crainte d’un accident » , ajoute-t-il.

Les listes d’attente dans les établissements s’allongent, et les assistantes maternelles ne sont pas assez nombreuses ou pas assez qualifiées. La formation est un des grands chevaux de bataille de Pas de bébés à la consigne : jusqu’en 2000, les crèches comptaient 100 % de personnel très qualifié. Depuis le décret d’août 2000, les titulaires de CAP petite enfance et BEP sanitaire et social (converti en bac professionnel en septembre 2011) peuvent travailler en crèche dans la limite de 50 % des effectifs. Le décret Morano prévoit de passer ce taux à 60 % car elles sont moins payées (ce sont en majorité des femmes) que les auxiliaires puéricultrices et éducatrices de jeunes enfants. Les conseillers de Pôle emploi auraient reçu pour consigne d’orienter vers ces diplômes les élèves en difficulté. Pour combien est-ce une orientation par défaut ?, s’inquiète le collectif. Et quel parrainage espérer de leurs aînées si elles sont trop nombreuses ? « Même armées des meilleures intentions du monde et compétentes, elles ne disposent pas des connaissances et des outils professionnels nécessaires pour faire face à toutes les situations » , précise Françoise Favel, responsable d’un centre de formation à Aubervilliers.

Un CAP petite enfance, c’est moins de stages et une formation plus généraliste qu’une auxiliaire. « Quand on entend une débutante dire d’un enfant de 9 mois qu’il fait un caprice, on réalise que les connaissances professionnelles n’y sont pas , résume Pierre Suesser. Quand on entend le gouvernement prétendre que les assistantes maternelles pourront être formées en 30 heures au lieu de 60, on voit ressurgir l’idée que, comme ce sont des femmes, elles savent s’occuper d’enfants et que ce n’est pas un métier. » D’où le risque de « despécialisation » pointé par le collectif. « Mais un enfant seul, ça n’existe pas , rappelle Françoise Favel. Derrière chaque enfant, il y a des parents, et dans chaque structure, des équipes très hétérogènes. La petite enfance réclame des connaissances spéci­fiques ! »

Faute de financement, la formation continue s’amenuise et les perspectives d’évolution des personnels avec. « Nous ne nous battons pas par corporatisme, mais pour défendre une qualité d’accueil des enfants contre une logique de remplissage » , insiste Pierre Suesser. L’initiative « jardins d’éveil » du gouvernement remporte un piètre succès : à peine 300 places créées. Mais pour combien de temps ? L’idéal serait que les parents aient le choix du mode de garde de leur enfant jusqu’à son entrée à l’école. Mais là aussi, problème : réductions de postes, fermetures de classes, parents qui redoutent de laisser un enfant de deux ans et demi avec 30 autres pour une seule enseignante, la scolarisation des 2-3 ans a baissé de 35,4 % en 2001-2002 à 15,2 % en 2009-2010.

[^2]: Voir http://www.pasdebebesalaconsigne.com/

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