En marge du manga

Pudique et passionnée, l’autobiographie de Tatsumi retrace le tournant pris par la bande dessinée nippone :
du public enfantin
au lecteur adulte.

Marion Dumand  • 31 mars 2011 abonné·es

Yoshihiro Tatsumi n’est pas un fanfaron. Il le pourrait, pourtant. Ce grand monsieur du manga est en effet reconnu par ses pairs comme l’initiateur d’une nouvelle ère, celle du « gekiga ». Le terme « signifie littéralement dessins dramatiques , indique l’éditeur nippon Mitsuhiro Asakawa. Il marque une évolution de la bande dessinée japonaise vers un lectorat plus adulte, mais ne peut être résumé à un genre en tant que tel, comme ce livre vous permettra de le découvrir » . Le livre en question s’intitule Une vie dans les marges, et le premier tome vient de paraître en France. Plus de 800 planches et près de douze années furent nécessaires à Tatsumi pour dessiner son autobiographie et répondre ainsi à la commande de son éditeur. Yoshihiro Tatsumi n’est pas un fanfaron. Certes, il parle de lui à la troisième personne, mais en toute modestie. Car le parcours de son double et quasi-anagramme, Hiroshi Katsumi, est surtout le reflet d’une bande dessinée en pleine révolution. Comme si, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, manga et mangaka [^2] avaient cheminé ensemble, de l’enfance à l’âge d’homme.

Roman d’apprentissage, Une vie dans les marges plonge le lecteur dans l’intimité tiraillée d’un jeune garçon. Katsumi a 10 ans en 1945. En lui, deux mondes se côtoient et s’affrontent. D’un côté, la réalité : Japon en reconstruction, famille pauvre, désunie, frère malade… De l’autre, l’imaginaire : Lost World , de Tezuka, Bambi, de Disney et la révélation : les Sept Samouraïs , de Kurosawa. D’abord refuge, puis gagne-pain, la bande dessinée lui sert surtout de catalyseur. Progressivement, il rejette les mangas ne jouant que « sur l’humour et la chute » , entend traiter de sujets « sérieux et impressionnants » , s’intéresse à une « écriture cinéma­tographique » , à un « traitement psychologique » . Il veut expérimenter. Et le fait, peu à peu, grâce à des maîtres, des collègues. C’est à leur travail qu’il rend hommage ; du sien, il évoque surtout les élans, et les doutes.

Pas d’effets de manche dans Une vie dans les marges : la plume tranche comme le sabre, d’un coup bref et simple. L’émotion la plus forte s’énonce en une phrase. Tatsumi applique là ce qu’a réalisé son double, à savoir qu’une « succes­sion de scènes grandioses finissait par les banaliser » . Alors, une fois et une fois seulement, le désespoir se transforme-t-il jusqu’à disparaître en de magnifiques planches, en lucioles virevoltantes.

[^2]: Dessinateur de mangas.

Culture
Temps de lecture : 2 minutes

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