La Banque postale perd de son crédit

Encore protégée par ses missions de service public, la « banque pour tous » tend à s’aligner sur la concurrence, au risque de devenir un établissement financier comme les autres.

Pauline Graulle  • 17 mars 2011 abonné·es

Demandez-leur s’ils trouvent leur banque « éthique ». Les salariés de la Banque postale – plus de 10 millions de clients en France – se montreront plutôt circonspects : « Si la Banque postale apparaît plus responsable que les autres, c’est grâce à son histoire, pas par volonté politique » , affirme d’emblée Nicolas Galépidès, acheteur en informatique dans l’entreprise et secrétaire fédéral à SUD-PTT. Et de railler au passage le partenariat qui lie son employeur au fort peu écolo Rallye des gazelles, qui polluera sous peu le désert marocain.

Il est vrai néanmoins que la Banque postale peut faire valoir ses atouts « génétiques » . Son jeune âge, d’abord. Née à proprement parler en 2006 – de ce qui s’appelait encore les « services financiers de La Poste »  –, elle n’a pas eu le temps de tremper ses doigts dans le pot de confiture des actifs toxiques, paradis fiscaux et autres placements à risques. « On part d’un modèle de banque nationale, avec des fonds hypersécurisés : 90 % des encours des comptes courants sont placés sur fonds souverains , explique Nicolas Galépidès. La Banque postale n’a pas encore fait de grosses bêtises. Du coup, il y a eu un boum des ouvertures de compte pendant la crise car les gens se sont réfugiés dans la sécurité. » Autre singularité, la Banque postale – détenue à 100 % par La Poste – est le seul établissement ayant pour mission l’accessibilité bancaire, et notamment l’obligation d’ouvrir gratuitement un Livret A à qui le demande. « Contrairement aux autres banques, qui font du “scoring” pour repérer les meilleurs clients et qui ferment les comptes quand il n’y a pas assez d’opérations, la Banque postale est censée offrir le même service à un RSA et à un client très riche », indique Jean-Marie Roux, de la CGT Finances.

Voilà pour les bons points. Mais des nuages menaçants se profilent à l’horizon. Car, à l’instar de sa maison mère, la filiale bancaire du groupe La Poste est en pleine mutation. Une mutation profonde qu’aura pour tâche de parachever le nouveau patron, Philippe Wahl, tout droit venu de la très libérale Royal Bank of Scotland, qui a frôlé la faillite lors de la crise financière avant d’être sauvée par l’État britannique.

Première étape de ce changement de modèle, l’élargissement de la palette des produits proposés pour rivaliser à jeu égal avec la concurrence. Derniers en date : l’assurance-dommage et le crédit à la consommation mis en place en 2010. « La Banque postale développe le crédit à la consommation alors même que le surendettement explose » , regrette Régis Blanchot, employé au service financier à Paris, et syndicaliste à Sud-PTT. « L’accès à un crédit pour tous fait partie de nos missions , rétorque la direction de la Banque postale, d’autant que ce crédit est assorti d’un dispositif d’accompagnement en partenariat avec l’association d’aide aux surendettés Cresus. » Dont acte. Mais, si l’on en croit un document interne que Politis s’est procuré, le développement des crédits renouvelables, plus connus sous le nom de « crédit revolving », ces pièges à la surconsommation et au surendettement, est aussi à l’ordre du jour en 2011. Autre pomme de discorde, l’accord passé entre La Poste et Western Union : « Cet organisme prélève des commissions indécentes, de l’ordre de 15 %, sur les transferts d’argent vers les pays du Sud, s’insurge Régis Blanchot. Il y a quand même plus éthique que de s’associer à l’un des plus grands voleurs de la planète ! »

Si la « banalisation » des produits financiers proposés par la Banque postale est sur les rails, un management d’un genre nouveau a parallèlement fait irruption en interne. « Depuis quelques années, on a des objectifs individuels de vente qui sont à la fois non négociables et complètement inatteignables » , témoigne Michel[^2], conseiller bancaire depuis trente ans, qui a tenu à garder l’anonymat par crainte de sa hiérarchie. Il raconte les méthodes de vente agressives imposées par la direction, les films publicitaires enjôleurs passés aux salariés pour les exhorter à vendre à toute force des Sicav – des produits pourtant à risques –, la pression des chiffres, le non-remplacement des départs en retraite et l’arrivée de jeunes professionnels, de « purs vendeurs » qui n’ont pas la culture du service public… « Ce management né de la course à la rentabilité n’a rien à envier à celui de France Télécom ! D’ailleurs, on compte 79 suicides à La Poste depuis 2003 » , s’alarme Michel.

Bref, le monde de la Banque postale est loin d’être rose. Et l’avenir fait plus peur encore. « Pour l’instant, c’est encore une banque publique, mais rien ne dit qu’elle va le rester , estime Jean-Marie Roux. Le gouvernement a besoin d’argent, on peut facilement imaginer qu’il fasse entrer d’autres banques dans le capital, ce qui distendra le lien avec l’actionnariat public. » La belle idée d’une « banque pour tous » pourrait vite se muer en un lointain souvenir.

[^2]: Le prénom a été changé.

Publié dans le dossier
Peut-on sortir du nucléaire ?
Temps de lecture : 4 minutes