La vie sans papiers

Politis  • 17 mars 2011 abonné·es

La préfecture de Bobigny s’est livrée début mars à un théâtre de l’absurde. Acte I : Lundi. Quatre files d’hommes, immobiles et silencieux, portant de lourds dossiers. Au bout d’un long moment, entrent des policiers, dont un galonné. Celui-ci (d’une voix forte) : « Votre attention SVP ! Chaque cas va être étudié séparément, tout dépendra de votre collaboration. »

Quatre groupes de 3 policiers apparaissent, portant chaises et tables, qui s’installent au début de chaque file. Se répète alors pour chaque groupe la même scène. Le policier (assis) : « Nom et papiers. » L’intéressé les présente. Parfois, le policier fait signe à un acolyte qui fait sortir l’homme de la file. « Pour quelle raison êtes-vous ici ? »

Plusieurs réponses : « Pour avoir mes papiers », « J’ai mon dossier complet » ou encore « Sans autorisation de travail, comment je gagne ma vie ? » « Les questions, plus tard. Attendez que je termine la file. » Il écrit quelques mots, se lève, prend sa chaise, l’escorte prend la table et au suivant, jusqu’au bout de la file. Ils sortent. Le galonné : « Nous étudions vos cas et revenons vous avertir du résultat. Attendez dans le calme. » Après un court instant, les policiers reviennent. L’un d’eux : « La commission a statué, à l’appel de votre nom vous viendrez ici. » À la fin, deux groupes sont constitués. Ceux qui n’ont pas été appelés sortent escortés. Le galonné, au groupe restant : « Messieurs, vous êtes le groupe des refusés au tri, vous n’aurez pas de rendez-vous aujourd’hui, revenez un autre jour. » Accablé, le groupe se disperse lentement.

Acte II : Vendredi. Quatre files toujours, dans un murmure constant de dialectes étrangers. Les hommes doivent se retourner pour se parler. Même « ballet » qu’à l’acte I jusqu’à l’appel. À cet instant, les hommes s’assoient tous par terre, sauf un. L’homme debout : – « Messieurs de la police, nous ne sommes pas en Tunisie, vous n’êtes pas au service de Ben Ali. Nous sommes venus pour nos papiers, pour qu’on nous donne un imprimé et un rendez-vous, et nous ne partirons pas d’ici sans cela. »

Les policiers s’approchent mais les hommes font masse et s’accroupissent. Le galonné sort son téléphone et, après un court conciliabule, fait signe à ses hommes, qui sortent sous les applaudissements. Arrive une employée de la préfecture. Le galonné lui parle à voix basse, elle répond d’une voix haute et intelligible : « On n’obéit pas à la police, on n’a pas d’étoile jaune ! » Le galonné bat en retraite. En sortant, il croise des employés qui distribuent enfin les précieux imprimés à tous.

http://resf.info

Temps de lecture : 2 minutes