Le militant, ce sale type en puissance

Le 17 mars, un syndicaliste sera jugé pour avoir refusé de se soumettre à un prélèvement d’ADN, donc au fichage génétique permis par les lois sécuritaires de Sarkozy. La CGT craint une multiplication des dossiers.

Thierry Brun  • 10 mars 2011 abonné·es
Le militant, ce sale type en puissance

Philippe Galano, salarié des Autoroutes du Sud de la France (ASF) et délégué syndical CGT, ne s’attendait pas à être traité comme un délinquant. Et pourtant… En 2003, ce militant participe au mouvement de grève contre la réforme des retraites de François Fillon et au blocage de ­l’autoroute Perpignan-Nord. Son entreprise mandate des huissiers pour constater sa présence sur les lieux avec trois autres syndicalistes, puis engage une procédure pour licencier les ­quatre hommes. Un mois plus tard, l’occupation de la direction régionale des ASF à Narbonne par des centaines de salariés voulant protester contre ces licenciements est suivie de mesures disciplinaires. Trois syndicalistes sont mutés ; Philippe Galano, lui, est non seulement licencié mais écope, en 2009, d’une peine de prison avec sursis et de 20 000 euros d’amende pour « séquestration ». En fait pour être resté dans le bureau du directeur régional des ASF dans le cadre d’une action syndicale.

Fin de l’histoire ? Non. Le voilà convoqué en juin 2010 à la gendarmerie, qui lui demande de se soumettre à un prélèvement génétique, en application de la loi de sécurité intérieure de 2003 (Loppsi 1) initiée par Nicolas Sarkozy, à l’époque ministre de l’Intérieur (voir ci-dessous). Cette législation méconnue a élargi considérablement le champ des délits provoquant l’inscription au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg), initialement limité aux auteurs de crimes sexuels. Font désormais l’objet d’un prélèvement d’ADN les auteurs de tags sur des panneaux publicitaires ou d’arrachages d’OGM, mais aussi des personnes condamnées dans le cadre de mobilisations pour défendre leurs droits, comme Philippe Galano. « Tous les délits qui portent atteinte au bien d’autrui peuvent entraîner la col­lecte de l’ADN, qui sera conservé entre vingt-cinq et quarante ans selon les cas » , dénonce Jean-Claude Vitran, membre du bureau de la Ligue des droits de l’homme (LDH), organisation engagée dans une campagne appelant au refus du fichage ADN.

« J’ai été convoqué trois fois par la gendarmerie pour un prélèvement d’ADN ! J’ai refusé parce que c’est destiné aux délinquants sexuels et aux criminels, pas aux syndi­calistes ! » , se défend Philippe Galano, taraudé par cette question : « Qu’est-ce qui justifierait qu’un syndicaliste, à la suite d’une manifestation, puisse se trouver dans un fichier d’empreintes génétiques ? »
Or, le refus du fichage génétique est aussi considéré comme un délit… En septembre 2010, le syndicaliste reçoit donc une convocation devant le tribunal correctionnel de Perpignan pour refus d’obtempérer et de se soumettre à un prélèvement d’ADN. Son procès a été renvoyé au 17 mars. Ainsi, après huit ans de procédure et déjà une condamnation, ce syndicaliste est passible d’une peine de ­prison ferme de 12 à 24 mois et d’une amende de 18 000 à 30 000 euros. « On va beaucoup trop loin, assure Jean-Claude Vitran. On essaie de faire peur à ceux qui sont militants et tentent de mettre en cause le gouvernement en place. »

Emblématique, la situation de Philippe Galano n’est cependant pas exceptionnelle. Les cas de syndicalistes convoqués devant les tribunaux à la suite d’actions contre les fermetures d’usine, les délocalisations et les plans de licenciements massifs sont de plus en plus nombreux. Les interventions policières dans le cadre du mouvement social de l’année dernière contre la réforme des retraites ont aussi grossi le nombre de militants traînés devant les tribunaux. « Il y a eu une multiplication des gardes à vue, des contrôles d’identité, etc., constate Ghislaine Hoareau, conseillère confédérale au service juridique de la CGT. C’est une entreprise d’intimidation, souvent dispro­portionnée car la qualification des faits est aberrante. »

Auteur d’une proposition de loi visant à interdire le fichage génétique des militants syndicaux, le député communiste Pierre Gosnat constate que « la crise économique et ses conséquences sociales dramatiques ont eu pour conséquence une radicalisation des revendications des salariés. Dans la situation actuelle, bon nombre de syndicalistes vont donc se retrouver fichés à l’égal de criminels » . Le député ajoute qu’1,2 million de personnes étaient recensées dans le Fnaeg au 1er janvier 2010, et qu’il n’y a pas moins de 30 000 inscriptions mensuelles.

Surtout, « au vu des enjeux, le refus de se soumettre à un test ADN est un geste militant. Le nombre de refus avoisinerait les 10 % » , estime aussi Pierre Gosnat. Les organisations syndicales, en particulier la CGT, voient ainsi arriver avec inquiétude les premiers dossiers de syndicalistes rejetant le fichage génétique. « Les syndicalistes sont en première ligne des actions. Les pouvoirs publics ne s’y trompent pas et tentent, à travers eux, de briser toute résistance » , estime la CGT, qui dénonce « les dangers de cette dérive sécuritaire permettant le fichage de militants politiques, associatifs et syndicaux, de même que des personnes simple­ment soupçonnées de délit » .

Philippe Galano n’est donc pas seul. Figure emblématique de la lutte des « Conti », Xavier Mathieu, délégué syndical CGT à l’usine Continental de Clairoix, fait ainsi partie de ceux qui refusent le fichage génétique. Il est convoqué le 3 mai devant le tribunal de Compiègne, après une condamnation de la cour d’appel d’Amiens en février 2010. « Nous n’avons que deux dossiers pour lesquels on demande la relaxe, explique Ghislaine Hoareau. *Pour l’instant, on ne connaît pas tous les cas en France. Et on ne sait pas encore comment les juges vont trancher… »
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Contraint de répondre à la campagne de refus du fichage génétique, le mi­nistre de la Justice, Michel Mercier, a exclu la révision de la loi de 2003, « qui créerait une immunité pour toutes les infractions commises dans le cadre de l’action syndicale ». Le ministre « oublie cependant de mentionner que les seuls actes non inclus dans le champ du Fichier national automatisé des empreintes génétiques sont les crimes et délits financiers. Pas de fichage génétique pour les criminels en col blanc ! » , rétorque Pierre Gosnat.

En l’état, le choix sécuritaire du gouvernement a donc créé une justice à deux vitesses : un syndicaliste défendant ses droits ou s’opposant à la casse de son entreprise est jugé plus dangereux qu’un trader détournant des millions. Indigné, Philippe Galano estime « nécessaire de montrer ce qui se passe réellement en France et les dangers qui guettent l’ensemble de la population dans les dérives sécuritaires et autoritaires de ce gouvernement » . Il risque gros : une nouvelle condamnation le pousserait vers la prison.

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