Le règne du lobbying

Selon l’eurodéputé Europe-Écologie-Les Verts Pascal Canfin, les dogmes néolibéraux sont toujours vivaces dans un secteur bancaire qui n’est pas prêt à renoncer à l’essentiel de ses profits.

Pascal Canfin  • 17 mars 2011 abonné·es

Les réformes du système financier en cours au niveau européen pour changer les règles de fonctionnement de la finance ne sont pas inutiles, mais elles sont largement insuffisantes. Car elles se heurtent à des tabous idéologiques et à des intérêts en place plus puissants que jamais. Certains fondamentaux idéologiques de la révolution néolibérale sont toujours bien vivaces malgré la crise de 2008. Ainsi, l’idée selon laquelle n’importe quelle action, obligation ou matière première doit faire l’objet d’une cotation en temps réel n’est pas remise en cause. Or, cette liquidité permanente des marchés est une des causes de la volatilité accrue, des crises financières plus fréquentes… et des surprofits des acteurs de la finance. Si, dans les supermarchés, le prix des carottes changeait toutes les heures, de nombreux intermédiaires fleuriraient qui achèteraient en masse des carottes pendant 59 minutes en espérant les revendre plus cher ensuite. Le consommateur final, lui, se retrouverait dans une situation plus complexe à gérer et à anticiper. Or, il n’y a pas plus de raison que le prix de l’action Total ou le prix du quintal de blé varient toutes les secondes que le prix des carottes du supermarché. Mais le dogme de la liquidité permanente est aujourd’hui intact et il continue de servir de justification à toutes les pratiques spéculatives comme le trading de haute fréquence, qui permet de passer des ordres toutes les… microsecondes !

Par ailleurs, l’idée selon laquelle l’innovation financière, et notamment les produits dérivés, permet de faire disparaître le risque ou permet aux marchés de s’auto-assurer contre ce risque est toujours dominante. Or, c’est bien cette fiction qui devrait être remise en cause. Prenons l’exemple des credit default swaps (CDS). Ces titres sont des assurances contre le risque de faillite d’une entreprise ou d’un État. Des banques comme BNP Paribas ou Deutsche Bank émettent des CDS pour couvrir d’autres banques ou des compagnies d’assurances contre le risque de faillite de la Grèce. Mais que se passerait-il si la Grèce faisait vraiment faillite ? Les banques françaises et allemandes étant les premières à posséder des filiales bancaires en Grèce et de la dette obligataire grecque, elles seraient de fait les premières exposées à ce risque. Elles sont donc très mal placées pour être l’assureur des risques pris par les autres ! Résultat, ce ne sont pas les banques qui paient, mais les contribuables… Les interventions massives des États après la chute de Lehman Brothers en 2008, notamment pour payer toutes les primes d’assurance sur les subprimes (prêts immobiliers à risque) vendues par AIG, ont montré à quel point le dogme de l’auto-assurance des marchés est faux et nuisible. Mais il est toujours intact.

Autre aspect : celui de l’innovation financière elle-même. Depuis une vingtaine d’années, les banques ont développé des produits d’une grande complexité mathé­matique… et d’une grande opacité pour le superviseur, qui, la plupart du temps, ne les comprend pas. La logique serait de simplifier considérablement les produits existants, comme Roosevelt l’avait fait après la crise de 1929, pour permettre à la puissance publique de réguler vraiment les banques en comprenant les risques qu’elles prennent. Moins de produits complexes, moins de transactions, moins de fausses couvertures de risque qui donnent lieu à de vraies commissions, cela voudrait dire moins de profits (et donc de bonus) pour les quinze grandes banques impliquées dans ces transactions au niveau mondial. C’est pour cela qu’elles s’y ­opposent de toute leur force grâce à un lobbying incessant. Bruxelles compte plus de lobbyistes que Washington. Et comme l’industrie financière est l’une des plus riches et des mieux introduites dans les cercles du pouvoir politique, sa force de frappe est spectaculaire. Le comité d’experts chargés de conseiller la Commission européenne sur les réformes bancaires est ainsi constitué de 23 membres… dont 21 banquiers. Cette situation est d’autant plus scandaleuse que la société civile est, elle, très peu organisée en matière de contre-pouvoir financier et bancaire. D’où l’importance de la création de Finance Watch (voir encadré p. 18) pour combler ce manque et assurer enfin un contre-pouvoir à la hauteur des enjeux.

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