Loi sur l’immigration : Jusqu’où irons-nous dans l’infamie ?

Le dernier projet de loi, voté mardi à l’Assemblée nationale, a mobilisé le 9 mars des centaines d’opposants en France, à l’appel du collectif Non à la politique du pilori. Reportage à Paris.

Céline Trégon  • 17 mars 2011 abonné·es
Loi sur l’immigration : Jusqu’où irons-nous dans l’infamie ?
© Photo : citizenside.com

On ne saurait mieux tracer à grands traits la position mortifère et discriminatoire à partir de laquelle le gouvernement mène sa politique migratoire qu’en observant les visages de ceux venus manifester contre le projet de loi sur « l’immigration, l’intégration et la nationalité », discuté à l’Assemblée nationale du 8 au 15 mars. En cette soirée du 9 mars, environ 700 personnes se tapissent dans l’ombre du bâtiment de l’Assemblée. L’indignation est palpable, la colère n’explose pas ; la résignation s’y est substituée. Les vitres du Parlement sont closes. Nul ne veut entendre les revendications des manifestants.

« La France a le droit de choisir qui elle veut accueillir sur son territoire » , lâchait la veille le nouveau ministre de l’Immigration, Claude Guéant, devant l’hémicycle. « Tout étranger en situation irrégulière a vocation à être reconduit dans son pays d’origine, sauf situations particulières » , continuait le véritable architecte de cette 7e loi sur l’immigration en cinq ans. Concrètement, le projet de loi transpose trois directives européennes. La directive carte bleue, de mai 2009, vise à promouvoir une immigration professionnelle de haut niveau, ardemment désirée par le gouvernement. Elle crée pour un public de cadres un titre européen qui ouvre le droit de séjour dans l’ensemble des États membres. « Cette directive est un pur gadget. La carte compétence et talent existe déjà mais elle ne fonctionne pas. Le Canada et les États-Unis offrent de meilleures conditions de vie , lance Gérard Sadik, responsable de la commission asile à la Cimade. La loi est présentée à tort comme une harmonisation au niveau de l’Union européenne. Elle dépasse le cadre européen lorsqu’elle n’intègre que des mesures négatives pour le droit des étrangers ou lorsqu’elle fait reculer l’intervention du juge à la suite d’un enfermement. »

Le projet de loi prévoit en effet dans la deuxième directive, dite de retour, de priver le juge des libertés de contrôle effectif sur la légalité des internements administratifs pendant les cinq premiers jours de la détention. « Auparavant, le juge pouvait dénoncer les vices de forme. Moins de personnes étaient expulsées. Le juge est considéré comme responsable de beaucoup d’échecs d’expulsions, il représente une entrave pour le gouvernement » , analyse Gérard Sadik. Et comme si cela ne suffisait pas, il faut ajouter à cette mesure ses petites sœurs : la création de zones d’attente « fictives » pour les situations exceptionnelles, l’allongement de la durée de rétention qui passe de 32 à 45 jours et l’interdiction de retour, autrement dit, une forme de bannissement moderne. « Les zones d’attente spéciales empêcheront les réfugiés de demander l’asile. Si la situation se durcit en Libye, les vingt jours d’attente pourront largement tripler ou quadrupler. L’élasticité de cette loi revient à dénier le droit d’asile » , conclut Gérard Sadik.

L’exception devient donc la norme. De la notion de « groupe » à celle « d’afflux massif » permettant l’instauration d’une zone d’attente spéciale, l’interprétation de la loi fera toute la différence. « Un mot peut faire beaucoup de morts » , réagit Jean-Pierre Dubois, président de la LDH à l’origine de la campagne Un mot = des morts ^2. « Le projet de loi prévoit le renvoi d’étrangers malades dans leur pays, et ce même s’ils sont en danger de mort, si le traitement est disponible dans leur pays d’origine. Il ne précise pas que le traitement doit être vraiment accessible. Cette mesure d’éloignement est inhumaine. » Emmanuel Terray, militant à la LDH, témoigne : « Une Malienne atteinte d’une hépatite B sévère a été renvoyé au Mali au motif que le traitement existe à Bamako. Cette femme, qui habitait à Kayes, soit à 800 km de la capitale, devait dépenser la moitié de son salaire mensuel en transport pour recevoir son traitement. Avec la loi actuelle, elle n’aurait jamais pu venir se faire soigner en France. »

La troisième directive vise à sanctionner les entreprises qui emploient des étrangers sans titre de séjour. Une avancée qui a tout l’air d’un trompe-l’œil tant l’amnistie des entreprises fautives est encore une règle presque immuable. Depuis le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, il s’agit pour le gouvernement de propager systématiquement le mythe de l’invasion. Son calcul serait d’amener la société à donner son accord explicite pour marginaliser et traquer les migrants et les sans-papiers. La répétition crée l’habitude. « Il n’y a pas plus de sans-papiers qu’il y a dix ans et pas plus de migrants qu’il y a un siècle. Le quota maximal est de 30 000 expulsions par an, la moitié ayant lieu en Guyane et à Mayotte. La politique d’immigration jetable du gouvernement dévoile en fait le mépris qu’il a pour les bouches prétendues inutiles , décrypte Jean-Pierre Dubois. *La stigmatisation des plus précaires est le carburant de la montée du FN. Sarkozy s’est enfermé à Grenoble. »
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La majorité UMP semble faire de cette « politique du pilori » un des axes principaux de la prochaine élection présidentielle. Les boucs émissaires sont tout trouvés. « La France souhaite mener une politique migratoire tout à la fois humaine, fidèle à notre tradition d’accueil mais aussi ferme dans une lutte déterminée contre l’immigration clandestine et toutes les formes d’esclavagisme moderne »  : manifestement, Claude Guéant semble pratiquer l’auto­persuasion. « Sarkozy est parti sur une pente dangereuse, le centre droit doute , analyse Marie-Dominique Tatard, de l’association Journée sans immigrés. Le retrait de la motion portant sur la déchéance de la nationalité à l’égard des Français d’origine immigrée est le fait de tensions internes fortes au sein de l’UMP. Il y a une brèche qui fait le lit du FN. » Mais le mal est fait. La diversité apparaît de plus en plus comme une menace. « On ose dire que ce sont des hordes d’étrangers et on accepte que ces gens meurent dans l’océan. Ces discours et pratiques obsessionnels sont intolérables et purement idéologiques, dénonce Danièle Lochak, membre du bureau du Gisti. L’idée qui consiste à voir dans l’étranger une menace à combattre était déjà présente dans l’entre-deux-guerres. » Avec le succès que l’on sait…

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