Qalqilya, ville emmurée

Avec ses 40 000 habitants, cette cité d’apparence prospère est entièrement cernée par le mur. On y consomme, mais toute production, notamment agricole, est quasi impossible.

Clémentine Cirillo-Allahsa  • 31 mars 2011 abonné·es

À quarante minutes à l’ouest de Naplouse, à la limite des territoires palestiniens de 1967, la ville de ­Qalqilya exhibe fièrement le dôme doré de sa nouvelle mosquée, visible des kilomètres à la ronde, ses oliviers millénaires et ses parterres de fleurs multicolores, tirés au millimètre près. Derrière un semblant de reprise, voire de prospérité, les mécanismes économiques à l’œuvre, ici comme dans le reste de la Palestine, interpellent. Si elle consomme sans entraves, Qalqilya, ­cloîtrée entre quatre murs, ne produit pas, devenant ainsi l’archétype de la Palestine d’aujourd’hui. Avec le développement ultrarapide d’une société de consommation à l’occidentale, et alors que la quasi-totalité des salaires dépendent de l’Autorité et des ONG, un nouveau phénomène gagne peu à peu du terrain. La Palestine vit bien au-delà de ses moyens, et l’endettement est non seulement financier mais moral.

À l’opposé de Naplouse, les rues de Qalqilya sont propres et soignées, et les quelques gamins qui sortent de l’école en traînant leur cartable y croisent des balayeurs de rue. Sur l’avenue principale, 4X4 rutilants, vitrines alléchantes et immeubles aux imposantes portes de verre ont poussé en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, à quelques pas du marché couvert. Assise sur des réserves d’eau de surface, avec un sol riche et un climat idéal, la ville, grande productrice de fruits, a longtemps exporté ses oranges, dont elle a fait son blason, vers la Jordanie. Aujourd’hui, faute de production, elle importe presque tout ce qu’elle consomme. Ses ressources sont d’ailleurs pour beaucoup dans la réclusion à laquelle elle semble condamnée. En effet, la plupart de ses terres cultivables, ainsi que ses pompes à eau, ont été annexées par le tracé du mur israélien. Seule une vingtaine de ces pompes – qui re­lèvent toutes de la loi jordanienne d’avant 1967, puisque Israël ne délivre aucune autorisation de forage – subsistent sur les 70 que comptait la municipalité.

Des quatre routes de son carrefour commercial, aux quatre points cardinaux, celle de Naplouse reste la seule autorisée. Les autres vont droit dans le mur, au sens littéral du terme, obligeant à de longs et décourageants détours. Tulkarem, une bourgade des environs, se retrouve à plus de trois quarts d’heure de route, bien que distante de quelques kilomètres. Désormais de l’autre côté de la barrière, les villages agricoles et les 85 000 habitants de la périphérie de ­Qalqilya ne font plus tourner son économie, et ses agriculteurs doivent être munis d’autorisations spéciales pour accéder à leurs champs. Ainsi, de ses deux ressources principales, l’agriculture et l’activité relevant du passage des travailleurs journaliers se rendant dans les territoires palestiniens d’avant 1948, il ne reste plus grand-chose.

Pourtant, dans une chaleur moite, la ville et ses 40 000 habitants semblent couler des jours tranquilles à l’ombre de son mur, de ses commerces et de ses nouveaux immeubles qui, sous la pression démographique, réduisent l’espace destiné aux cultures. ­Qalqilya, ville métaphore. Bien qu’une partie de son cœur de ville soit située en zone A, sous contrôle de l’Autorité palestinienne, l’armée israélienne y fait des virées nocturnes plusieurs fois par semaine, s’adressant au préalable à la municipalité pour obtenir le retrait de toutes les forces de police. En périphérie, zone C, sur laquelle Israël a tout pouvoir, aucune activité de production, aucune usine, aucun atelier ne peut être construit, aucun projet économique, même impulsé par Salam Fayyad lui-même, ne peut ­prendre pied. Le système pousse à l’endettement. « Ainsi, chacun ne pensera plus qu’à lui-même », s’effraie Adel Samara, économiste et écrivain militant, pour qui le plan vise avant tout à affaiblir l’esprit de résistance.

Publié dans le dossier
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