Au Carrefour de la mobilisation

Les employés du leader européen de la grande distribution se sont mobilisés pour leurs salaires alors que le groupe mène une quête effrénée de rentabilité. Une grève jugée « historique » par les syndicats.

Erwan Manac'h  • 21 avril 2011 abonné·es
Au Carrefour de la mobilisation
© PHOTO: AFP / Poujoulat

À temps complet, comme gestionnaire de rayon, Élise (un pseudonyme) gagne 1 100 euros par mois malgré ses dix ans d’ancienneté. Sa collègue caissière, au Carrefour de Sevran, gagne « environ 900 euros » , à 30 heures par semaine. La colère gronde parmi les salariés du premier employeur privé de France. D’autant que le groupe a distribué en 2009, selon la CFDT, 92 % de son bénéfice aux actionnaires, soit 761 millions d’euros. Le directeur général du groupe percevait sur la même année une rémunération brute de 1,3 million d’euros à laquelle s’ajoutent des intéressements variables. De quoi ­rendre bien pâles les augmentations de deux fois 1 % sur deux mois proposées par la direction dans le cadre des négociations obligatoires.

Samedi 9 avril, à l’appel des trois principaux syndicats, 150 hypermarchés sur 231 étaient partiellement en grève. Un mouvement « historique » par son ampleur, jugeaient les syndicats au lendemain du mouvement. La direction du groupe aura pourtant tout tenté pour tuer la fronde dans l’œuf : réouverture des négociations annoncée tambour battant la veille de la grève, convocation individuelle des caissières dans certains magasins, mise au repos forcé des grévistes… Des cadres se sont même mis en caisse pour empêcher le blocage des magasins. Mais rien n’a permis d’empêcher une mobilisation importante et bien relayée dans les médias.

L’exaspération des employés de Carrefour va plus loin que ces revendications salariales. « Depuis trois ans, on vide les magasins de leur personnel, raconte Frédéric Aubert, délégué syndical FO, le premier syndicat du groupe. Dans l’établissement d’Orange, les effectifs ont chuté de 19 % en trois ans. On enlève des humains et nous devons continuer à travailler. Il y a un vrai ras-le-bol. »

Depuis l’arrivée du suédois Lars Olofsson à la direction du groupe fin 2008, Carrefour s’est lancé dans une chasse aux « coûts ». En deux ans, 8 000 postes ont été supprimés à l’échelle nationale, et le groupe teste actuellement dans une quinzaine de magasins son « nouveau modèle opérationnel ». Employés plus polyvalents, horaires de nuits généralisés : Carrefour marche sur les traces du hard discount. Dans son communiqué sur les résultats 2010, le groupe se félicitait ainsi du « succès de [son] plan de transformation, avec des économies de coûts de 580 millions d’euros [soit 0,6 % du chiffre d’affaires], supérieures à [ses] objectifs initiaux ». « Le risque est d’aller vers un système du type Walmart, y compris en termes de droits sociaux et syndicaux » , s’inquiète Serge Corfa, délégué national CFDT.

Dans ce contexte tendu, la question salariale reste une priorité pour les employés. Et l’idée d’un mouvement social semble effrayer la direction du groupe, très attachée à son image. « Notre grande force, c’est que nous connaissons nos clients, et ils sont globalement de notre côté, explique Serge Corfa. Ce sont des gens comme nous, ils s’identifient. »

Réunis à la table des négociations mercredi 14 avril, les syndicats ont donc obtenu une augmentation de 2 % effective dès le mois de mars et l’ouverture de négociations en septembre pour transformer la prime de vacances de 750 euros en 14e mois. Les remises sur les produits du magasin seront aussi augmentées de 7 % à 10 % et les heures de grève pourront être récupérées. Le tout saupoudré d’une prime exceptionnelle de 220 euros bruts, pour calmer les esprits.

Les syndicats, CGT exceptée, étaient en passe de signer l’accord salarial en début de semaine, mais restaient préoccupés par la réorganisation du groupe. « Il est très difficile de faire une action nationale sur l’emploi et les conditions de travail, estime Serge Corfa. Mais des mobilisations peuvent être efficaces dans chaque magasin. » Et le ras-le-bol restait palpable parmi les salariés : « Il y a une montée de l’absentéisme et une multiplication des congés maladie, raconte Zohra Abdallah, déléguée syndicale CGT du Carrefour de Sevran. Aujourd’hui, nous avons des gens qui sont prêts à faire des grèves longues. »

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