Duras côté cuisine

Jeanne Champagne a adapté plusieurs textes de l’écrivain qui la montrent dans sa vie quotidienne. Tania Torrens lui donne vie avec subtilité.

Gilles Costaz  • 21 avril 2011 abonné·es

Invitée à dire ce qu’elle pensait de la biographie de Marguerite Duras par Laure Adler, Michelle Porte – cinéaste et auteur des Lieux de Duras – répondit : « Tout est juste, mais tout n’était pas relié à cette âpreté et cette volonté de réussite sociale que décrit la biographe. Marguerite était une femme d’intérieur, à l’ancienne, qui passait beaucoup de temps à la cuisine. » C’est cette femme-là que cerne le spectacle de Jeanne Champagne, la Maison, tiré de la Vie matérielle, livre d’entretiens avec Jérôme Beaujour, et de quelques autres textes. Bien sûr, ce n’est pas une autre Duras. C’est la femme révoltée de Barrage contre le Pacifique, la passionnée de l’Amant, la conteuse fascinée du Vice-Consul, quelqu’un qui réinvente le récit littéraire et cinématographique. Mais, en même temps, un écrivain ajoutant à la création les soucis et les plaisirs du travail domestique.

Sur scène, une cuisine. La radio fait entendre, par instants, la voix de François Mitterrand et les nouvelles des années 1980. Une vieille machine à écrire est posée au bord de la table. Des légumes s’accumulent. L’actrice, Tania Torrens, un pull rouge sur une robe sombre, coupe les carottes et les pommes de terre. À l’évidence, elle prépare une soupe. Elle ne la fera pas cuire, comme on le ferait dans une certaine forme de théâtre réaliste ! Ce sont plutôt les mots qu’elle affine, assaisonne, met à température, fait frémir.

Ce que le choix des textes et la mise en scène mettent en relief, c’est la double place de la nourriture dans l’organisation des journées et dans le rapport social et intime. Pour Duras, un paquet de lentilles qui n’est pas escorté d’un second paquet, c’est la marque d’un oubli fâcheux, d’une absence de prévision, et la peur de manquer. Comme cette femme, même devenue riche, a eu peur de retomber dans la privation ! Ce sentiment venait à la fois de l’enfance dans l’Indochine coloniale et de l’incertaine vie de l’écrivain. Parallèlement, les repas, c’est la fête, le partage. Duras l’exprime, sans employer ces termes, et se focalise sur les relations qu’on peut avoir avec l’homme qu’on nourrit. Il faut aimer beaucoup les hommes pour passer au-delà de leurs immenses défauts, dit-elle en substance.

Guidée par Jeanne Champagne, très attentive au détail et au lent écoulement du temps, Tania Torrens ne cherche pas l’identification physique avec Duras. Elle se contente de traduire ce que la banalité comporte de sublime. Voilà qui est suffisant !

Culture
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