Fallait-il intervenir en Libye ? Vos réactions

Notre dossier du 24 mars sur cette « guerre du moindre mal » en Libye a suscité de nombreuses réactions. Nous publions ici une sélection des courriers – souvent très critiques – que vous nous avez adressés. Et donnons la parole à Rony Brauman, qui explique les risques de cette intervention.

la rédaction  • 7 avril 2011
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Fallait-il intervenir en Libye ? Vos réactions
© Photo : AFP / Hams

Fatalisme

Votre solidarité paternelle ne fait pas notre affaire. La protection de vos soldats, on n’en veut pas. Avec le même raisonnement, vous avez rendu Saddam le sanguinaire un héros-martyr aux yeux de la rue arabe et vous vous apprêtez à faire la même chose avec Gaddadi le fou. Votre solidarité et vos interventions humanitaires ne font que retarder nos révolutions. Laissez-nous mains nues face à nos tyrans et contentez-vous de maintenir vos soldats dans leurs casernes. Ils (nos tyrans) vont peut-être massacrer des dizaines de milliers de personnes, mais c’est le prix à payer. Les révolutions coûtent cher, monsieur Sieffert. De grâce, laissez-nous payer la note.
_ Antar

Appel à la modération

Un commentaire sur les commentaires : bizarre comme les points de vue sont d’autant plus tranchés que la question est plus discutable […]. Si on n’avait pas agi et que Kadhafi avait massacré les opposants, les commentateurs auraient, à juste titre, crié au scandale, comme dans le cas du Rwanda, où la presse a regardé le massacre de loin […]. Et, bien sûr, si cette expédition anti-Kadhafi se transforme en bourbier, les mêmes belles âmes iront de leur « je vous l’avais bien dit ». Devant une situation si ambiguë, pourquoi trancher par des anathèmes et des simplifications polémiques ?
_ René Azambre

Deux poids, deux mesures

Évoquer le « devoir d’intervention humanitaire » est assez douteux lorsqu’il est pratiqué de manière sélective et quand on connaît les vraies motivations des décideurs. Il est dommage que la communauté internationale ne se soit pas mobilisée lorsque la France massacrait et torturait les « insurgés » de ses colonies, particulièrement en Algérie… 
_ Jean Meyrignac

Le syndrome Timisoara

Pour la Libye, il faut être très prudent avec les informations qui nous parviennent. Un jour, on parle de 2 000 morts et, le lendemain, le bilan est revu à 300. On a aussi dit dès le début de la crise que Kadhafi avait bombardé son propre peuple, mais l’armée russe, qui surveille la situation par satellite, a officiellement démenti cette information. Si l’Otan se prépare à intervenir militairement en Libye, nous pouvons être sûrs que les médias dominants vont diffuser la propagande de guerre habituelle.

En fait, la même chose s’est passée en Roumanie avec Ceausescu. Le soir du réveillon de Noël 1989, le Premier ministre belge Wilfried Martens a fait un discours à la télévision. Il a prétendu que les forces de sécurité de Ceausescu venaient de tuer 12 000 personnes. C’était faux. Les images du fameux charnier de Timisoara ont également fait le tour du monde. Elles étaient censées démontrer la violence aveugle du président roumain. Mais il s’est avéré plus tard que tout cela était une mise en scène : des cadavres avaient été sortis de la morgue et placés dans des fosses pour impressionner les journalistes…
_ Mohamed Hassan, spécialiste de la géopolitique et du monde arabe (extrait d’un entretien avec Michel Collon)

Kadhafi, un bouc émissaire

La France, la Grande-Bretagne, les vieilles fripouilles colonialistes en ordre de bataille derrière leur rejeton sanglant les États-Unis, ont obtenu ce qu’elles cherchaient depuis le début : intervenir en Libye, utiliser la force. [Ces pays] traînent derrière eux tous les vieillards du monde arabe rêvant de sauver les meubles et les royalties pétrolières qui permettent à une caste de prospérer en asphyxiant ses esclaves… Ils cherchent une solution de rechange, l’ouverture à un islam « modéré », une bourgeoisie aux dents longues qui veut sa part du gâteau.

On ne peut que frémir en lisant ce « par tous les moyens ». Ils ont appliqué cette saloperie néocolonialiste intitulée « devoir d’ingérence », au nom duquel ils jugent de qui mérite d’être « secouru ».
 Pas les ouvriers désarmés de Bahreïn, non, une faction dans une guerre civile autour des ressources énergétiques […]. Il vous faut une nouvelle marionnette corrompue à la Karzaï, parce qu’aucun patriote n’acceptera jamais votre intervention. Il vous faut un ministre de la Justice, des infirmières bulgares, un monarque en exil, l’héritier de celui qui a livré son pays et les ressources pétrolières aux Occidentaux. Ce ne sont pas les Libyens pour lesquels vous frémissez, mais bien vos alliances que vous tentez de conforter. […]

Vous avez trouvé un nouveau bouc émissaire, mais vous accordez au même moment votre aval aux vieillards immondes qui tiennent le destin du Golfe, vous acceptez que les troupes saoudiennes viennent traquer jusque dans les hôpitaux des manifestants ouvriers désarmés qui ne réclament qu’une véritable citoyenneté.
Et, de ce fait, vous avancez déjà vos pions vers l’Iran, vers une guerre chiites-sunnites qui risque de se terminer par une monstrueuse déflagration […].
_ Danielle Bleitrach (Voir texte complet sur Politis.fr, cité sur le blog de Bernard Langlois.)

Une intervention nécessaire

Il y a beaucoup de raisons d’être contre l’intervention militaire en Libye et, pourtant, je ne me suis pas résolu à la condamner. Aussi, je me suis retrouvé dans les articles de Politis sur ce sujet.
Je suppose que l’argument principal de ceux qui condamnent l’intervention est la souveraineté des États, donc la non-ingérence dans les affaires intérieures. […]

Tant que la révolte populaire ne se heurte pas à une répression armée massive, la question d’une intervention extérieure ne se pose pas, comme en Tunisie et en Égypte. Mais, dans le cas de la Libye, c’est différent. Nous savons tous les intentions du colonel : écraser militairement la rébellion et se venger du peuple complice. Les « insurgés » eux-mêmes ont réclamé l’intervention devant la disproportion des forces. Cette situation me rappelle l’intervention du Vietnam au Kampuchéa de Pol Pot, considérée comme une invasion inadmissible jusqu’au moment où nous avons découvert les meurtres de masse perpétrés par ce régime, pourtant reconnu internationalement comme le représentant légitime du Cambodge. Non seulement une victoire de Kadhafi provoquerait un carnage, mais aussi elle stopperait pour longtemps la révolte dans les autres pays, dont les dictatures reprendraient immédiatement le dessus, entraînant d’autres massacres […].
_ Gérard Masure

Politis avec Sarkozy et l’impérialisme américain

Oh, certes, Denis Sieffert regorge de clauses de style et de rhétorique, formules qu’il avait jusque-là plutôt évitées, et n’accuse pas ceux qui seraient en désaccord avec lui. Oh, certes, l’ensemble de la classe politique française joue le jeu de l’union sacrée, à l’exception de quelques critiques du PCF. Pourtant, si j’ai bien lu, cette semaine, Denis Sieffert se range aux côtés de Nicolas Sarkozy, chef de guerre, de David Cameron (face à son peuple dans la rue, ce qui n’est pas l’habitude britannique), d’un Obama qui joue l’effarouché mais, somme toute, ne peut guère défendre d’autres intérêts que ceux de sa superpuissance, de son état-major et de ses pétroliers. Autres alliés : Berlusconi, le Qatar, etc., tous des croisés des droits de l’homme. […]
_ Pierre Burlaud

Pour une action pacifique

En comparant avec ce qui s’est passé en Tunisie, il me semble que c’est précisément le fait d’avoir choisi d’entreprendre une réaction armée face à la répression et d’avoir organisé une guerre de positions qui a empêché un processus d’union nationale face au pouvoir en place. L’action armée a décrédibilisé le mouvement rebelle et a permis au gouvernement Kadhafi de le qualifier de terroriste.
_ Guillaume Tixier

Kadhafi caricaturé

L’enfer est pavé de bonnes intentions. Certes, il pouvait être difficile pour les plus sincères des insurgés de faire la part des choses entre la cause nationale et celle de la démocratie. Mais, désormais, ils ne peuvent plus ignorer cette réalité, celle des bombardements de forces étrangères sur leurs propres villes, leurs propres aéroports, leurs propres routes, leur propre peuple, car là aussi il s’agit de bombardements contre des populations civiles, et il n’y a pas un bon et un mauvais peuple. Démocratie, où serait ta victoire si elle se faisait à ce prix ? […]
Que les insurgés libyens et les États arabes qui ont appelé à l’intervention armée prennent garde aux flatteries occidentales sur « leur courage » et « leur détermination démocratique ».
Il n’y a aucun courage à compter sur des armées étrangères pour vaincre. […]
Le nouveau pouvoir libyen, s’il est installé par l’étranger, sera marqué par les conditions de sa naissance. Il sera vulnérable, soumis à la volonté de ceux qui l’auront fait. […] Les médias occidentaux s’impatientent que les frappes ne commencent pas de suite.
Cette campagne médiatique est totalitaire, elle ne laisse aucun espace à l’esprit critique. Il ne doit y avoir aucune place à d’autres opinions que celle caricaturant El Gueddafi,
le présentant comme un fou dangereux qui doit être éliminé. […]
_ Djamel Labidi Paru dans le Quotidien d’Oran du jeudi 24 mars 2011

Soupçon, soupçon…

Bien sûr il n’est pas question ici de défendre le chef de l’État libyen, qui a signé avec l’Italie des accords scandaleux en matière de lutte contre l’immigration, qui participe aux accords Frontex, qui a signé avec la France les contrats d’armement les plus juteux de tous les pays arabes, celui dont on disait qu’il ne faisait pas de prisonniers politiques mais seulement des assassinats politiques ! Mais, enfin, où est la « révolution » en face ? Où sont les masses de gens qu’on voyait au Caire ou à Tunis ? Où sont les victimes du génocide de Benghazi ? Aucune image sauf le défilé de milices surarmées et le désert d’une population qui sûrement se terre… Qui a armé les milices de Benghazi et dans quel but ? Quel programme ou embryon de programme en faveur des gens a-t-on entendu hurler dans les rues de la Cyrénaïque ? […] Voilà que même Politis applaudit aux actions des colons et des profiteurs de guerre français, anglais et américains. Quelle différence « humanitaire » cela fait-il pour les Libyens d’être tués par les bombes occidentales ou par celles de Kadhafi ?
_ Danielle Tarfaoui


→ Soutenez le prochain reportage de Politis.fr en Amérique du Nord, à la rencontre des victimes de l’exploitation des gaz de schiste et des militants opposés à cette technique destructrice.

Politis.fr


Publié dans le dossier
Enquête sur la gauche de droite
Temps de lecture : 9 minutes
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