Ils se battent pour les chiffonniers

Un comité de soutien des revendeurs de biens usagés du XXe arrondissement de Paris tente de trouver des solutions pour faire cohabiter « biffins », riverains, policiers et commerçants. Pas simple.

Ludovic Simbille  • 7 avril 2011 abonné·es
Ils se battent pour les chiffonniers

Dénicheurs la nuit, vendeurs le jour. Des centaines de marchands de fortune déballent chaque jour leur étal sur le terre-plein de Belleville-Couronne ou le rond-point de la porte de Montreuil, dans le XXe arrondissement de Paris. Des vieux vêtements, des ustensiles, des bibelots ou même des appareils électriques récupérés ici et là afin de joindre les deux bouts. Mais ceux que l’on appelle aussi les biffins, en référence à l’activité des chiffonniers historiques de Paris, jouent au chat et à la souris avec les patrouilles policières. Celles-ci parties, les baluchons se redéploient aussitôt. Du moins lorsqu’ils ne sont pas saisis et jetés à la benne à ordures. Depuis janvier, les adeptes de la débrouille doivent composer avec les brigades spécialisées de terrain de la préfecture de police de Paris qui quadrillent les alentours, à la demande des municipalités du XIe et XXe arrondissements. Pour couronner le tout, la récente loi Loppsi 2 condamne l’activité de vente à la sauvette à 3 750 euros d’amende et six mois de prison. Autant dire que ces revendeurs ne sont pas vraiment les bienvenus.

« Riverains en colère », « Respectez la loi », « Un terrain oui, mais pas chez nous ». Jeudi 17 mars, habitants et commerçants sont venus manifester leur colère sur le parvis de la mairie, face à quelques vendeurs flanqués des membres du tout nouveau Collectif de soutien aux biffins. Composé d’élus, de militants associatifs, de chercheurs et de revendeurs, le collectif veut proposer des solutions concrètes aux enjeux posés par l’activité des vendeurs de rue, loin du tout-répressif et de l’animosité ambiante. « On ne soutient pas les biffins, on les subit » , s’énerve Charles, qui habite le quartier.

Il se plaint des sacs en plastique, des effets et des traces d’urine qui tapissent le sol à cause de ces marchés. « On ne peut pas aller faire nos courses, rentrer chez nous sans marcher sur leurs stands » , renchérit Nathalie. D’après ces porte-parole de l’Amicale des riverains de la porte de Montreuil, les biffins au sens traditionnel ne seraient qu’une minorité. Ils voient là plutôt un marché illégal de produits de contrefaçon, d’habits volés ou autre nourriture « tombée du camion » : « Ils vendent illégalement, ils n’ont pas de patente. » Cela générerait une « concurrence déloyale » face aux commerçants, à en croire Mourad, un pucier de la porte de Montreuil. À ses yeux, les vendeurs à la sauvette sont responsables de la perte de 50 % de la clientèle du marché aux puces. « Ce sont des gens qui ont faim, mais il ne faut pas prendre à Pierre pour habiller Paul. Qu’ils rentrent dans la loi. »

Tant d’arguments à l’encontre des biffins justifient, pour les citoyens mobilisés à leurs côtés, la création d’un collectif de soutien. « Ils ne vendent pas à la sauvette par plaisir mais parce qu’ils sont dans la merde. Pour arrêter les nuisances, il faut une autorisation officielle de vente » , explique Samuel Lecœur, photographe et membre du collectif. « Cette politique du tout-répressif ne permet pas de se projeter dans une perspective de long terme » , tonne-t-il. Alors qu’un budget d’un million d’euros a été voté en novembre pour trouver des solutions à ces « marchés de la pauvreté », le collectif souhaite que les municipalités concernées « actent le principe de création d’espaces dédiés aux biffins ». Pour, selon Ariane Calvo, élue du Parti de gauche du XXe, et Renaud Martin, membre du Collectif de soutien aux biffins et d’Europe Écologie-Les Verts, « réguler la vente elle-même et accompagner socialement les personnes les plus précaires ».

Lors de la première réunion, diverses idées ont été évoquées : espaces autogérés par les vendeurs ? Espace brocante ? Ou peut-être un « carré des biffins » à l’image de celui de la porte de Montmartre, dans le XVIIIe arrondissement ? Arraché par la lutte de l’association de biffins Sauve-qui-peut, cet espace légal de vente a été mis en place il y a plus d’un an pour répondre à l’agacement des riverains et aux besoins des chiffonniers. Moyennant une dizaine d’euros par an et un engagement à ne vendre aucun produit neuf, le détenteur d’une « carte biffin » obtient un emplacement parmi les cent places disponibles sous le pont du périphérique. Cent places qui semblent dérisoires face à la demande grandissante. Un afflux de vendeurs lié, selon leurs soutiens, à la répression organisée à Belleville et porte de Montreuil, qui « met en péril le travail de régulation » .

« Vu qu’ils ont fermé les marchés partout, on accueille tous les biffins, tempête Mohamed Zouari, chiffonnier historique de Sauve-qui-peut. Il faut créer d’autres marchés pour désengorger le carré. » Reste à voir sous quelle forme. Yvan Grimaldi, directeur du pôle insertion de l’association Aurore, en charge du Carré des biffins, préconise une gestion des futurs espaces par des travailleurs sociaux. « Ce sont des gens qui galèrent à choper 20-30 euros le week-end. Si vous voulez des carrés de biffins, il faut des professionnels avec des compétences et des qualifications. » L’intention plaît, mais certains chiffonniers veulent préserver leur autonomie. « On veut être consultés et écoutés sur l’attribution des critères » , prévient Martine, biffine depuis plus de vingt ans. « Il y en a toujours qui voudront rester en dehors, mais ce qui compte, c’est la reconnaissance de leur statut de revendeur » , résume Samuel Lecœur. D’autant que l’activité de récupération d’objets jetés pourrait répondre à l’intérêt écologique général de la population.

Habitants et revendeurs ne peuvent-ils trouver un terrain d’entente ? Tous admettent que la répression n’est pas une solution durable. Nathalie ironise : « On a la solution : qu’on leur donne un grand terrain vague, ils pourront s’installer à Montreuil, mais pas là où habitent les gens. » Tout comme le comité de soutien, les puciers demandent que la question soit traitée politiquement au niveau de l’Île-de-France et de la Mairie de Paris. Car le problème ne se limite pas au XXe arrondissement. « Il faut donc qu’ils trouvent des solutions, pas que chez nous » , conseille le représentant des Puces. Une volonté partagée par Ariane Calvo et Renaud Martin, qui souhaitent étendre les lieux de vente autorisée à plusieurs arrondissements. La forme à donner aux espaces ne fait pas encore consensus mais, face à « l’urgence sociale », le collectif reste persuadé de son utilité. Comme un rempart indispensable aux tensions entre éboueurs, policiers, riverains, commerçants, revendeurs, acheteurs…

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