La folie change de camp

Jean-Luc Véret  • 21 avril 2011 abonné·es

Je fais partie de ceux qui s’alarment depuis trente-cinq ans des dangers du nucléaire, pour la santé comme pour la démocratie. Nous avons dénoncé les risques cancérigènes et génétiques des déchets accumulés, l’absence de transparence, le sacrifice des énergies renouvelables, le coût et la gestion des déchets laissés aux générations futures, le fait que les activités nucléaires s’accompagnaient d’une société policière. On nous a toujours opposé un optimisme béat, une confiance aveugle dans la science, une décision autoritaire, le secret et la répression des actions militantes. Nous étions les fous !

Pourtant, au fur et à mesure des années, la réalité a été plutôt pire que ce que nous pensions. Les déchets entassés à l’usine de La Hague, que l’on dit « retraiter » alors qu’on ne supprime pas leur radioactivité, donnent lieu à des rejets quotidiens dans la mer. Le laboratoire indépendant de l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (Acro), à Caen, a montré que la petite rivière qui descend du site était polluée par des déchets radioactifs. Seulement quelques dizaines d’années ont passé. Comment croire que les nappes phréatiques ne seront pas contaminées dans les centaines d’années qui viennent ?

Le surgénérateur de Creys-Malville – que nous dénoncions et contre lequel nous étions plus de 100 000 à manifester – a été construit. Il n’a jamais fonctionné de façon satisfaisante. Il a été arrêté, représentant un gigantesque gâchis et un échec retentissant.

Nous savions qu’il y avait un risque d’accident, mais nous n’osions pas vraiment croire que ça allait sauter. Et il y a eu Tchernobyl en 1986 ! La catastrophe a entraîné une pollution jusqu’au Japon ou au Canada. Et nous avons assisté à un mensonge d’État pendant douze jours, tous les médias reprenant l’information officielle selon laquelle il ne se passait rien chez nous, alors que les appareils de radioprotection étaient en alarme dans les installations nucléaires françaises.
Nous avions évoqué le risque d’attaque, mais nous n’osions pas croire qu’un avion de ligne pourrait être sacrifié à des fins terroristes. Or, deux avions ont été détournés le 11 septembre 2001 ; certes, pas contre des installations nucléaires, mais…

Et maintenant Fukushima ! Des personnels qui travaillent sur le site subissent de fortes doses de radioactivité, mortelles à court terme. Et les faibles doses vont toucher une population très large, augmenter les cancers et les mutations génétiques dans l’avenir. La contamination est grave dans l’océan Pacifique et peut être mesurée, dans l’air, jusque chez nous. Certaines particules radioactives se fixent dans le corps pour y délivrer leurs rayonnements toxiques pendant des dizaines d’années. Enfin, le réacteur n° 3, le plus touché, fonctionne au combustible MOX, produit en France, à La Hague. Il contient du plutonium, dont la dose toxique, s’il est inhalé, est d’un millionième de gramme. Au rythme où cet élément voit sa radioactivité décroître, il en restera encore assez dans un kilogramme pour tuer un million de personnes dans 240 000 ans !

Le monde et la société changent, et ce sont aujourd’hui les écologistes qui sont considérés par la population comme sérieux et réalistes ! On découvre qu’il serait sage d’attendre de maîtriser un risque pour le prendre. Et le choix responsable devient : sortir du nucléaire ! Étonnante transmutation de la folie en sagesse… Début de l’espoir ?

Publié dans le dossier
Des vérités cachées
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