La France bloque 60 Tunisiens à la frontière et met en scène son conflit avec l’Italie

Dimanche, une soixantaine de migrants tunisiens et plusieurs centaines de militants italiens et français ont été bloqués à Vintimille, du côté italien de la frontière. Paris a interrompu le trafic ferroviaire pour prévenir… « des troubles à l’ordre public » . Une bisbille diplomatique sur fond de détresse humaine.

Erwan Manac'h  • 18 avril 2011
Partager :
La France bloque 60 Tunisiens à la frontière et met en scène son conflit avec l’Italie
Photos : Teresa Maffeis http://on.fb.me/e9dv37
Photo de Une : AFP / Martin Bureau; Claude Guéant à Menton (frontière franco-italienne) le 4 avril 2011.

Dimanche en fin de matinée, des militants transalpins et français s’étaient donné rendez-vous à Vintimille, une petite ville italienne située à 9 km de la frontière, pour soutenir les migrants tunisiens arrivés en Italie après la chute de Ben Ali il y a trois mois. Ces militants associatifs veulent que les pays européens leur accordent des droits de circulation. Pour seule réponse, la préfecture des Alpes-Maritimes a fait interdire toute circulation ferroviaire entre Nice et Vintimille, prétextant « des risques de trouble manifeste à l’ordre public » d’après le ministère français de l’Intérieur.

Début avril, Rome avait régularisé pour six mois 22 000 réfugiés, pour « nettoyer » l’île italienne de Lampedusa, d’après les mots de Silvio Berlusconi. Le ministre français de l’Intérieur avait surenchéri sur le même ton en agitant la menace d’un « raz de marée » de migrants sur la France.

Teresa Maffeis est membre de l’Association pour la démocratie à Nice (ADN). Elle a pu rejoindre la petite ville italienne avec une quinzaine de Français avant l’interruption du trafic ferroviaire : « Un train est arrivé de Gêne avec une soixantaine de migrants et plusieurs dizaines de militants. L’ambiance était très pacifique malgré la présence policière. Il y avait beaucoup de jeunes Italiens arrivant également de Bologne » , témoigne-t-elle.

Illustration - La France bloque 60 Tunisiens à la frontière et met en scène son conflit avec l'Italie

Vintimille, 18 avril 2011

La plupart des migrants sont Tunisiens, arrivés sur l’île de Lampedusa et régularisés par le gouvernement italien. « C’était très émouvant de les voir , raconte Teresa Maffeis. Il y avait des très jeunes, un peu perdus et surtout exténués… Ils ont compris que [leur présence] était un problème politique en France, mais ils ne connaissaient pas ces considérations. Ils nous ont raconté leur étonnement, par exemple, lorsqu’ils s’installent dans un bus, de voir les gens s’accrocher à leur sac. Nous les avons même choqués en leur expliquant comment les choses étaient perçues ici. » En fin d’après-midi, devant le blocage maintenu par les autorités, les militants ont obtenu l’ouverture d’un centre d’hébergement pour les migrants.

Illustration - La France bloque 60 Tunisiens à la frontière et met en scène son conflit avec l'Italie

Les forces de l’ordre italiennes, à Vintimille, dimanche 18 avril 2011

Sur le terrain diplomatique, l’Italie demande des « éclaircissements » à la France suite à l’interruption du trafic ferroviaire et exprime sa « ferme protestation » par l’intermédiaire de son ambassade à Paris.

Paris exige désormais que les migrants puissent justifier notamment d’un passeport et de ressources de 30 à 60 euros par jour pour pouvoir pénétrer sur le sol français. « La libre circulation n’empêche pas qu’on puisse fixer des conditions, notamment en terme de ressources , explique Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile, contacté ce lundi. Mais ce sont des manœuvres de retardement qui ne répondent pas a un souci d’efficacité. On est en train de confectionner un récit national, un conte, à destination d’une partie de l’opinion… à chaque fois qu’on parle d’immigration, on fait le « buzz » et il en sera ainsi jusqu’à l’élection présidentielle. »

Les dizaines de migrants refoulés hier restent pour l’heure bloqués à Vintimille.

Afficher Vintimille sur une carte plus grande

  • À lire sur Politis.fr

Le dédain de l’Europe face à la situation d’urgence en Tunisie


→ Soutenez le prochain reportage de Politis.fr en Amérique du Nord, à la rencontre des victimes de l’exploitation des gaz de schiste et des militants opposés à cette technique destructrice.


Société
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

À Paris, un conducteur percute deux personnes lors d’une manifestation de sans-papiers
Racisme 17 octobre 2025 abonné·es

À Paris, un conducteur percute deux personnes lors d’une manifestation de sans-papiers

Vendredi 10 octobre, un homme en voiture a percuté des manifestants lors d’une mobilisation organisée par un collectif de sans-papiers à Paris. Deux hommes ont été blessés et ont porté plainte. Malgré leurs témoignages, la police a retenu l’infraction de « blessures involontaires ».
Par Pauline Migevant
À Rouen, l’académie refuse de scolariser des mineurs isolés et à la rue
Reportage 16 octobre 2025 abonné·es

À Rouen, l’académie refuse de scolariser des mineurs isolés et à la rue

Malgré un droit constitutionnel adoubé par la convention des droits de l’enfant, la scolarisation est une bataille au quotidien pour les jeunes exilés de la plus grande ville de Seine-Maritime. Depuis plusieurs mois, ils luttent face au refus de l’académie de les scolariser.
Par Louis Witter
« Plan social déguisé » : 20 salariés d’un sous-traitant d’Amazon contestent leur licenciement
Luttes sociales 15 octobre 2025 abonné·es

« Plan social déguisé » : 20 salariés d’un sous-traitant d’Amazon contestent leur licenciement

Licenciés pour faute il y a un an, ils ont décidé d’attaquer cette décision auprès des prud’hommes de Marseille, ce mercredi. En cause : le refus d’être mutés à plus de 130 kilomètres de leur lieu travail suite à la perte d’un contrat avec Amazon.
Par Pierre Jequier-Zalc
À Paris, la Confédération paysanne en première ligne contre le Mercosur
Reportage 15 octobre 2025 abonné·es

À Paris, la Confédération paysanne en première ligne contre le Mercosur

Plusieurs centaines de personnes ont manifesté le 14 octobre contre le traité de libre-échange UE-Mercosur, à Paris, à l’appel du syndicat. Un texte qui exercerait une concurrence déloyale pour les agriculteurs français et menacerait la santé et le climat.
Par Vanina Delmas