Le Larzac, planète vivante

Un livre retrace quarante ans de lutte des paysans du Larzac et leurs méthodes d’action, qui sont restées des références pour les mobilisations altermondialistes.

Claude-Marie Vadrot  • 28 avril 2011 abonné·es

Mai 1968 : il ne se passe rien dans l’Aveyron. C’est si loin, Paris. Sur les hauts, donc sur le plateau du Larzac, les rumeurs étudiantes et ouvrières parviennent à peine. Pourtant, trois ans plus tard, des paysans et leurs amis défilent dans les rues de Millau pour protester contre la décision du ministre de la Défense nationale, Michel Debré, de transformer leurs terres à brebis en un vaste camp militaire. Le causse aux fermes isolées et parfois en ruine se rebiffe. À la grande surprise du pouvoir gaulliste, qui pensait mener rondement l’affaire en rachetant les terres à l’amiable. La France entière cherche sur la carte où vivent ces Gaulois. En 1972, dans la chronique écolo qu’il publie chaque semaine dans Charlie Hebdo, Pierre Fournier écrit : « Là-haut, il fait frais la nuit. La plage est loin, les pavés aussi, mais l’air est pur. »

Une saga encore inachevée commence : les paysans cathos et isolés sur ce plateau, dans leurs maisons aux murs épais, passent brusquement à une contestation qui les conduira, quatre décennies plus tard, à l’altermondialisme. José Bové, militant antimilitariste et antinucléaire monté de Bordeaux, s’installe à Montredon. Dans une ferme délabrée promise aux obus du futur champ de manœuvre militaire. Il la reconstruira et ne la quittera qu’à son élection au Parlement européen.

Des prémices de l’insurrection non-violente du Larzac à la participation aux forums sociaux de Porto Alegre et d’ailleurs, Pierre-Marie Terral déroule dans son livre les étonnants destins, les victoires, les échecs et les évolutions d’une centaine de familles qui ont commencé à « s’indigner » il y a quarante ans. Issu d’une thèse soutenue l’année dernière à l’université Paul-Valéry de Montpellier, l’ouvrage de cet enseignant d’histoire et de géographie détaille le parcours passionnant des hommes et femmes du Larzac. Des témoignages recueillis à la source ou puisés dans les archives d’un combat qui a transformé le tranquille causse en zone rebelle mais non-violente.

Un défilé permanent de personnalités aux noms parfois oubliés : René Dumont, le premier candidat des écolos à la présidentielle, Lanza del Vasto, patriarche d’une communauté non-violente, Bernard Lambert, le paysan-travailleur breton, le général Jacques Pâris de Bollardière, résistant de la première heure sous l’Occupation et dénonciateur de la torture en Algérie, ou encore Théodore Monod, Maurice Clavel et Jean-Paul Sartre. Une bataille aux multiples rebondissements jusqu’à ce qu’un certain François Mitterrand annule, en 1981, le projet d’extension du camp militaire. La saga aurait pu s’arrêter là. D’autant plus que les paysans unis du Larzac ont ensuite obtenu ce dont ils rêvaient : la propriété collective de toutes les terres destinées à l’armée. Elles sont réunies dans la Société civile des terres du Larzac, organisme qui permet à leurs successeurs de s’installer sans acheter la terre.

L’ouverture à la solidarité internationale avait fait son oeuvre : ces paysans ont pris pied dans le vaste monde des luttes, qu’ils ne quitteront plus. Leur marché de Montredon (19 habitants) attire chaque été, tous les mercredis, les habitants de la région depuis vingt-cinq ans. Il a préfiguré les « marchés paysans » qui se sont multipliés depuis sur le territoire. Avec un plus : la librairie. « Le Larzac n’est pas un astre mort, mais une planète vivante où il se passe toujours quelque chose » , écrit Pierre-Marie Terral. La France oubliera progressivement le Larzac, ses révoltes épiques et sa liaison avec les ouvriers autogestionnaires de Lip ou ceux de l’industrie du gant à Millau.

Pourtant, ses paysans vont aider les Kanaks, soutiendront les écologistes japonais, ou protesteront contre les essais nucléaires du Pacifique. Loin des projecteurs. Jusqu’à ce jour de 1999, où les mêmes sont descendus à Millau pour démonter le McDo : leur façon de protester contre une nouvelle taxe imposée au roquefort par les Américains, sur fond de malbouffe, d’industrialisation de l’agriculture et de lutte contre les OGM. Quelques mois plus tard, ils triomphaient au rassemblement altermondialiste de Seattle. Leur histoire revenait dans la lumière. Une histoire foisonnante, passionnante, jamais racontée aussi complètement parce qu’elle ne dissimule rien des difficultés, des divergences, des engueulades et des erreurs. Une longue saga militante qui peut encore servir de référence.

Idées
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