Le Medef en rêvait, Fabrice Nicolino l’a fait: démolir le monde associatif

Claude-Marie Vadrot  • 19 avril 2011
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Le Medef, la CGPME, les associations de maires, les élus de la majorité et quelques autres, les chambres de notaires, les promoteurs de la FNAIM, les constructeurs d’autoroute, l’ Union des Industries pour la Protection des Plantes, les industries chimiques, les pétroliers qui fantasment sur le gaz de schiste à tous les étages du pays, Areva, EDF et le gouvernement bien sur en rêvaient : Fabrice Nicolino l’a fait. Dans son dernier livre (1) il tombe a bras raccourcis sur les associations de protection de la nature et de l’environnement. Ceux qui leur gâche la vie avec leurs contestations. Tous pourris, tous ramollis, tous complices du système, tous bon à jeter aux orties ceux qu’adepte des vieux slogans gaucho-révisionnistes il appelle la bande des quatre : France-Nature-Environnement, le WWF, la Fondation Nicolas Hulot et Greenpeace. En oubliant qu’après la mort de Mao, les « quatre » vilipendés, injuriés et arrêtés le furent pour avoir organisé la Révolution Culturelle. Ce qui, justement, est à mettre à l’actif, en des modes différents, des grandes associations mises en accusations : par leurs actions, depuis le début des années 70, avant pour certaines d’entre-elles, ces groupes ont contribué à nous convaincre de commencer à faire notre révolution culturelle, en attirant notre attention sur toutes les destructions en cours ; en nous suggérant de changer de vie, de renoncer à épuiser les ressources ; en nous répétant qu’un autre monde, une autre société était possible. Et urgente.

Les « quatre » et d’autres oubliés par Fabrice Nicolino ont mené une guérilla permanente, nationale ou délocalisée, contre les pollueurs, les aménageurs et autres naufrageurs des ressources et du milieu naturel. Ils ont fait un travail fantastique. Certaines par des actions spectaculaires, d’autres par des manifestations et aussi en utilisant toutes les ressources de la loi pour contester les décisions des pouvoirs nationaux ou locaux ; et les projets des aménageurs. Souvent, d’ailleurs elles ont mêlé les types d’intervention : les responsables de la Ligue pour la Protection des Oiseaux, par exemple, pour contrer les chasseurs ont aussi bien occupé des cols et fait le coup de poing avec les viandards que multiplié les contestations devant les tribunaux administratifs au nom du droit européen. Les deux méthodes se sont révélées payantes, même s’il reste du travail. Et quelques autoroutes (pas assez) ont été annulées. Par surprenant que le BTP et le Medef fassent leur miel de l’entreprise de démolition. Il suffit de parcourir les sites qui leur sont favorables pour mesurer leur satisfaction.

Par leurs rapports- Greenpeace ne fait pas qu’attaquer les baleiniers ou grimper sur les cheminées de centrales-, leurs réflexions, leurs colloques et les actions en justice, les quatre –ou les douze, ou les vingt ou les 50 000- compliquent la vie et les projets des pollueurs et des aménageurs. En attendant le Grand Soir dont Fabrice Nicolino ne donne pas la recette. Il se contente d’enfoncer une porte ouverte en expliquant que le Grenelle n’a servi à rien. Comme si les naturalistes et les écologistes ne le savaient pas et ne l’avaient pas répété sur tous les tons. Mais, n’en déplaise à notre Savonarole qui ne finira pas sur un bûcher et que l’on a connu plus inspirés dans ses deux excellents derniers livres, pour pouvoir moquer le Grenelle et en constater l’échec, encore fallait-il y aller. Dans quel monde refuse-t-on de discuter avec son adversaire ou son pire ennemi ? Dans quel monde refuse-t-on de négocier ? Cela peut toujours servir ! Ou alors, on prend le maquis, ce que Fabrice Nicolino qui campe dans les médias depuis quelques semaines ne semble pas prêt à faire. Il devrait réfléchir à l’attention qui lui est portée par tous les écolosceptiques qui vomissent la moindre préoccupation écologique. Le Medef n’a plus besoin de se manifester, Nicolino fait le boulot pour lui et tous les autres.

Mais surtout en remuant de vieilles histoires, bien mal vérifiées, sur les origines des associations qu’il cloue au pilori, l’auteur insulte les militants de terrain qui ont participé et participent encore aux luttes pour sauvegarder la nature et l’environnement et ont contribué à la prise de conscience progressive d’une part grandissante de la population. Ceux là on fait et continue de faire un travail fantastique au quotidien. Ils ne méritent pas le mépris. Vilipender le passé, dénoncer les financements des uns ou des autres, avec pas mal d’approximations, ne change rien à ce travail sur le terrain. Est-ce que je vais reprocher à Fabrice Nicolino de travailler pour un groupe de presse qui accepte toutes les publicités et les mécénats et dont certains titres militent pour le renoncement au droit de l’avortement ? Non, car cela ne l’empêche pas de s’exprimer librement.

S’engouffrant dans une mode curieuse, Fabrice Nicolino nous fait le coup de la certitude d’avoir raison contre tous les autres, tous collaborateurs stipendiés du système. Il serait le seul à avoir raison et ses contradicteurs participent d’un complot qu’il faut dénoncer. Sur France-Inter, emporté par son élan et son éloge de la solitude, il s’est même comparé au Général de Gaulle seul à Londres contre la France de l’acceptation et de la collaboration. Il parait que cela s’appelle l’écologie radicale. Celle qui n’a aucune chance de séduire une part grandissante de l’opinion publique. C’est une mode qu’exploitent, pour les médias ravis d’un peu de piment, des personnages comme Allègre, Courtillot, Ferry, Gerondeau, de Kervasdoué, Zemmour ou Ménard dans d’autres domaines. Seuls contre tous, donc martyrs potentiels !

Cela s’appelle le populisme.

Fabrice Nicolino vient donc d’inventer le populisme écologique.

(1) Qui a tué l’écologie ?

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