Partir ou mourir

Un livre d’enquête auprès des harragas, ces jeunes Maghrébins candidats à la clandestinité.

Jennifer Austruy  • 7 avril 2011 abonné·es

On les appelle les harragas , littéralement « ceux qui brûlent ». Ces jeunes sont prêts à braver la mort pour quitter leur pays. Faire la harga , c’est brûler les frontières et renoncer à son identité. C’est s’enfuir, sans papiers, sans visa, monter dans un bateau de fortune avec quelques personnes et tenter coûte que coûte de rejoindre les côtes européennes. Dans leur pays, au Maghreb, il n’existe aucune perspective d’avenir. Souvent diplômés, ces jeunes ne trouvent pas de travail. Sans argent, pas de maison, pas de mariage, pas de possibilité de quitter le carcan familial. Ils décident alors de troquer l’ennui, le désœuvrement et la pauvreté contre la clandestinité en Europe. Contre une infime chance de vie meilleure.

Traversée interdite !  [^2] nous emmène dans l’esprit du « brûleur de frontière » . L’auteure, Virginie Lydie, s’appuie sur plusieurs années d’enquête pour livrer un ouvrage éclairant sur cette catégorie particulière de clandestins. Au travers de témoignages de jeunes Maghrébins et d’analyses sur la politique migratoire française et européenne, elle brise les préjugés. Non, la raison de leur départ n’est pas qu’économique. Au Maghreb, les jeunes « étouffent » . Enfermés dans un pays où la religion dicte sa loi, où plus de 50 % de la population a moins de 30 ans, où « il n’y a rien à faire » , ils rêvent de liberté à l’occidentale. Fantasment, aussi, sourds aux mises en garde de ceux qui reviennent, qui ont vu, déjà vécu ­l’expulsion.

Malgré le durcissemen­­­t des dispositifs de lutte contre les étrangers « non autorisés » , ils ne renoncent pas. Certains tentent la harga deux, trois, ­quatre fois. Expulsés, ils préparent aussitôt leur prochain voyage. Qui sont-ils ? Pourquoi préfèrent-ils vivre en clandestins dans un pays souvent hostile ? Qu’espèrent-ils en venant en Europe ? Comment vivent-ils ? En répondant à ces questions, l’ouvrage bat en brèche les idées reçues sur l’immigration. La plus forte pression migratoire vient de Chine, d’Afghanistan, d’Érythrée et d’Irak. Et la majorité des migrants arrivent sur le territoire français avec un visa touristique, restent et se cachent.

Mais, comme le montre Virginie Lydie, « le côté spectaculaire et l’aspect hautement symbolique du “partir ou mourir” » met le phéno­mène marginal des harragas sur le devant de la scène. Ni victimes de la guerre ni menacés par la famine, « ces jeunes qui n’ont, selon nos critères, aucune raison de quitter une galère pour une galère plus grande encore, sont les grands incompris de l’immigration ».

En refermant ce livre, le lecteur, lui, les comprend mieux.

[^2]: Traversée interdite ! Les harragas face à l’Europe forteresse, Virginie Lydie, Le Passager clandestin, 172 p., 16 euros.

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