Ces jeunes qui pointent au 115

Parmi les personnes qui contactent l’urgence sociale, 20 % ont de 18 à 24 ans. Une tranche d’âge frappée par des ruptures scolaires et des dossiers de surendettement, notamment en milieu rural.

Ingrid Merckx  • 5 mai 2011 abonné·es
Ces jeunes qui pointent au 115
© Photo : AFP / Ceyrac

Ils sont de plus en plus jeunes. 20 % des personnes qui composent le 115, numéro de l’urgence sociale (gratuit, même depuis une cabine), sont âgés de 18 à 24 ans [^2]. « Cette proportion est connue depuis une enquête de l’Insee publiée en 2001 » , commente François Chobeaux, responsable des politiques sociales aux Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (Cemea). Sauf que l’échantillon de l’Insee comptait 461 personnes de 16 à 24 ans interrogées à Paris et en petite couronne, contre 6 326 de 18 à 24 dans 15 départements pour l’étude de l’Observatoire du 115. « L’insuffisance de protection des jeunes sans abri est loin d’être une exception francilienne. Le problème s’observe aussi bien en zone rurale qu’en zone urbaine » , souligne la Fnars, qui pilote l’Observatoire. « Cette étude vient en effet confirmer un rajeunissement des personnes qui contactent le 115, reprend François Chobeaux, ainsi qu’une augmentation du nombre de filles, et des cas de jeunes, particulièrement dans les petites villes et en milieu rural, qui ont commencé à travailler, à avoir un logement, et pour qui tout s’écroule ­brutalement. Ils se retrouvent alors sans toit, seuls, surendettés et sans ressources…   »

Ce n’est pas le même cas de figure que celui des jeunes en « errance active », pour reprendre ­l’expression du réseau Errance créé par les Cemea en 1991. Soit des jeunes qui revendiquent une « rupture sociale construite » et se déplacent sur le territoire. Ni la même situation que pour les jeunes majeurs étrangers, qui sont plutôt dans les grandes villes. Il s’agit là plutôt de jeunes « du secteur », en rupture familiale ou qui connaissent des tensions avec leur famille, qui n’ont pas de domicile fixe mais restent dans le département. « Ils ne sont pas à la rue, ils passent d’hébergement chez des copains, ou dans la famille, en squats ou camions, alternent, peinent à se stabiliser… Mais ils ne se voient pas comme des SDF, souligne Rachel Héron, éducatrice à l’Accompagnement personnalisé et soutien à l’habitat (APSH) à Challans, en Vendée. Ils ont souvent du mal à composer le 115. C’est bien ce qui nous inquiète : la majorité n’ont pas recours aux dispositifs d’urgence, parce qu’ils ont plusieurs chiens, qu’ils sont en couple, ou qu’ils préfèrent trouver d’autres solutions… » L’APSH accueille entre 30 et 40 % de jeunes de 18 à 25 ans.

« En publiant ces chiffres, nous voulions alerter sur la situation d’une population souvent invisible, qui ne sollicite pas ou peu les services sociaux, et dont 14 %, d’après une étude de l’OCDE, ne sont inscrits ni au Pôle emploi ni en formation, explique Nicole Maestracci, présidente de la Fnars. Nous sommes alarmés par l’augmentation du nombre de jeunes en situation d’urgence, qui peuvent dégringoler très vite si on ne leur répond pas rapidement et de manière adaptée. »

Peut-on accueillir des jeunes comme des personnes qui sont dans la rue depuis vingt ans ? La Fnars réclame un « accompagnement social intensif » pour cette tranche d’âge et l’extension du « RSA jeunes », pour l’heure limité à ceux qui ont travaillé deux ans à temps plein. Autant dire une extrême minorité de jeunes en dérive.

« Les conseils généraux sont financièrement étranglés. […] Les Régions resserrent leur intervention portant sur la formation professionnelle et l’accès à l’emploi […]. L’État intervient directement sur l’urgence sociale par le financement des structures d’accueil et d’hébergement […]. Mais ce programme, déjà historiquement sous-doté selon l’ensemble des grandes structures associatives, a été en plus réduit de 30 % à l’été 2010 » , résumait François Chobeaux lors des rencontres nationales du réseau Errance à Lorient en novembre 2010. Concrètement, il existe quelques mesures de protection pour les jeunes majeurs, notamment ceux qui sortent de l’Aide sociale à l’enfance (contrat jeune majeur ou système d’allocations mensuelles). Mais, non soumises à obligation, elles reposent sur le bon vouloir des conseils généraux.

À Challans, ville vendéenne d’environ 18 000 habitants, pas de Samu social, pas d’équipes de rue ni de prévention. Mais une expérience soutenue par la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) : un « accueil d’urgence jeunes » mis en place par l’APSH. 350 personnes par an sont accueillies à Olonnes, 250 à Challans. « Le nombre de jeunes est en augmentation minime mais constante depuis 2003 » , précise Rachel Héron. Ceux qui frappent à la porte se voient proposer un hébergement en appartement (de trois semaines, renouvelable une fois), et un accompagnement social.
« Il n’existe pas de mandat pour les jeunes adultes. Ce sont eux qui nous mandatent. C’est déjà difficile pour eux de solliciter de l’aide, alors, quand ils viennent pas question de leur sauter dessus en demandant : “C’est quoi ton projet ?”, ni de leur expliquer que des solutions existent mais pas avant des semaines… Il faut pouvoir leur donner une réponse immédiate. Ça n’a peut-être pas l’air très “éducatif”, mais cela permet de créer un lien. Or, c’est souvent de liens qu’ils manquent… Ils sont parfois encore en contact avec leur famille, mais épisodiquement, entretiennent des relations avec des copains, mais ils sont “désaffiliés”, sans repères. De plus, quand ils arrivent, c’est qu’ils ont quitté leur squat et qu’ils sont prêts à autre chose, une solution plus “insérante”… Le logement n’est pas une finalité, c’est une première démarche. »

Et d’évoquer ce jeune de 23 ans qui les avait déjà sollicités pour un « Contrat jeune majeur » (dans le prolongement de l’Aide sociale à l’enfance). En difficultés relationnelles avec sa famille, il est resté un mois et demi hébergé par l’association. « Le temps de se poser, de réfléchir dans de bonnes conditions et, pour nous, d’évaluer à quel point il était décidé à changer quelque chose à sa situation. » Ou cette jeune fille qui avait « pas mal vadrouillé » , partie à Lyon, ayant vécu en squat, en camion, revenue à Challans… et ainsi pendant plusieurs années. « Elle était complètement perdue et ne savait pas de quoi elle avait envie. Mais la troisième fois qu’elle s’est présentée, elle est venue directement avec une demande de relogement. Aujourd’hui, elle travaille dans un chantier d’insertion et elle est locataire d’un appartement. Il faut pouvoir apporter des réponses souples ! »

Les jeunes reçus à l’APSH sont plutôt issus de milieux modestes. Ils ont en commun d’avoir suivi une scolarité chaotique. « Le plus alarmant, selon nous : ils sont de plus en plus nombreux à quitter l’école de plus en plus tôt , signale Rachel Héron. Par ailleurs, nous n’avons jamais enregistré autant de dossiers de surendettement que cette année, pour des impayés de loyer, des achats de voiture, de meubles, de téléviseurs… Certains ont contracté des crédits après avoir décroché un boulot, mais soit ils l’ont perdu parce qu’ils étaient sous contrats précaires ou dans l’incapacité de s’y stabiliser, soit ils ont rencontré d’autres difficultés, parce que consommateurs de produits, par exemple… » Sans solidarité familiale, ils plongent. « L’accueil urgence jeunes » de Challans conserve un statut « d’expérience », reconduite tous les ans pour l’instant, mais non pérenne.

[^2]: 6 326 jeunes exactement selon l’étude réalisée par l’Observatoire national du 115, publiée le 21 avril.

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