Fukushima : Tepco en perdition

L’opérateur japonais ment-il par omission depuis deux mois ? Chaque semaine apporte des nouvelles plus préoccupantes sur l’état de la centrale sinistrée.

Patrick Piro  • 26 mai 2011 abonné·es
Fukushima : Tepco en perdition
© Photo: TSUNO/afp

La catastrophe de Fukushima aura-t-elle raison de Tepco ? L’opérateur japonais, le premier électricien d’Asie, est en passe de perdre pied dix semaines après le tsunami qui a probablement mis la centrale, l’une des puissantes au monde, au bord de l’explosion d’un ou plusieurs cœurs de réacteur. À mesure que la radioactivité décroît et que des équipes parviennent à faire brièvement incursion dans les réacteurs ravagés, le constat rejoint les plus alarmistes des hypothèses formulées dès les premières heures de l’accident : pendant les longues heures où il n’a pas été possible de pallier la destruction des systèmes de refroidissement, les barres de combustible nucléaire des réacteurs 1, 2 et 3, hors d’eau, ont selon toute vraisemblance fondu. C’est la première fois que l’opérateur – et les différents organes gouvernementaux – évoque cette éventualité. Plus grave : dans le réacteur 1, la réaction thermique est allée jusqu’à former un magma très radioactif (le corium), qui serait tombé au fond de la cuve. À une température de l’ordre de 2 000 °C, qui peut faire craindre que la masse perce l’enceinte de confinement en béton pour se répandre à l’extérieur. Les deux autres réacteurs ont peut-être atteint un stade similaire, potentiellement explosif en raison du dégagement d’hydrogène par les matières en présence.

Tepco tente aussi de se sortir d’affaire avec les quelque 90 000 tonnes d’eau contaminée qui polluent le site de la centrale, issues du refroidissement des réacteurs à la lance à incendie. En attendant qu’un module de décontamination puisse être greffé sur un système de refroidissement en circuit fermé, bricolé à l’extérieur de la centrale, l’eau, dont une partie a déjà regagné le Pacifique, devrait être stockée sur une barge qui vient d’être mise à quai.

En plus de son incompétence en matière de sécurité et de gestion de la crise, l’entreprise, mais aussi les autorités, est désormais soupçonnée d’avoir menti sur l’ampleur de la radioactivité relâchée dans la nature. La semaine dernière, un groupe de scientifiques constatait que les chiffres officiels différaient régulièrement des mesures indépendantes. Une contamination de la chaîne alimentaire est désormais constatée jusque dans un rayon de 300 km autour de la centrale, contre 100 km auparavant, et de nouvelles évacuations ont été ordonnées. « Ce que j’ai déclaré à la population était totalement erroné, a reconnu Naoto Kan vendredi devant le Parlement. Nous n’avons pas su détecter les fausses affirmations de Tepco. »

Dans l’immédiat, le naufrage de Tepco se traduit par une très lourde sanction économique. L’opérateur accuse 11 milliards d’euros de perte sur les douze derniers mois, l’une des plus importantes de l’histoire de la Bourse japonaise, et ce n’est qu’un début – personne n’est capable de prédire le montant des indemnisations à venir. La valeur de l’action de l’entreprise a été divisée par quatre depuis le 11 mars, et l’État a pratiquement mis Tepco sous tutelle. Son PDG, Masataka Shimizu, vient d’être limogé, et l’entreprise, sous perfusion, a déjà reçu en prêt 2,6 milliards d’euros de fonds publics et le double de la part de banques privées. En effet, Tepco compte dans son actionnariat de nombreuses assurances et banques japonaises, qui subiraient un préjudice important de l’effondrement radical de l’opérateur à la dérive. Après le nucléaire, Tokyo ne peut pas se permettre de voir la perte de confiance contaminer le monde de la finance qui l’a soutenu.

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