La bourse ou la vie

Les syndicats ne voient toujours rien venir pour réduire la pénibilité au travail. En cause : les méthodes de management soumises aux logiques financières.

Thierry Brun  • 5 mai 2011 abonné·es

Tout un symbole. Quelques jours après le suicide en Gironde d’un salarié de France Télécom-Orange, les syndicats (CFDT, CGT, FSU, Unsa et Solidaires) se sont invités devant le siège du Medef le 28 avril, à l’occasion de la journée mondiale pour la sécurité et la santé au travail. Ils demandent notamment la prise en compte des « modes de management » dans les prochaines négociations de branche ou d’entreprise. « Concrètement, on laisse les salariés dans des situations de souffrance au travail extrême ! Et on recule dans d’autres professions, comme chez les infirmières, alors que 20 % d’entre elles sont en invalidité avant 55 ans, leur âge de départ à la retraite » , constate Nadine Prigent, membre du bureau confédéral de la CGT. « Le gouvernement pense qu’il va améliorer le travail de la Fonction publique en copiant le management du privé, renchérit Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU. *Ça ne marche pas ! La restructuration des services, qui remodèle complètement le travail des fonctionnaires, et les suppressions de postes continuent de dégrader fortement les conditions de travail. »
*

À l’exception de quelques accords d’entreprise, comme chez le chimiste Rhodia, et dans quelques secteurs comme la ­manutention portuaire et le transport routier, la reconnaissance de la pénibilité au travail est à la traîne. Après la série noire de suicides à France Télécom en 2009, le gouvernement avait pourtant sommé les grandes entreprises d’engager des négociations. Un deuxième plan Santé au travail (2010-2014) visant à développer une politique de prévention contre l’ensemble des risques professionnels a même été lancé. Sans changement notoire. Une dizaine d’accords sur les risques psychosociaux ont vu le jour depuis octobre 2010, qui « n’engagent pas ou peu les directions d’entreprises » , déplore la CFE-CGC. Tout comme la CGT, qui souligne l’absence de mise en cause des méthodes de management, car elles sont liées à l’exigence d’une forte rentabilité financière et à la recherche d’une productivité toujours plus grande. Un récent rapport sénatorial, réunissant majorité et opposition, confirme « la défiance accrue des salariés vis-à-vis de leur management » dans les grandes entreprises [^2].

Les appels syndicaux et les rapports se succèdent. Tous constatent que le phénomène de mal-être au travail est général et soulignent les contradictions gouvernementales et patronales. Prévue par la réforme des retraites de 2003, une négociation sur la pénibilité a échoué après trois ans de discussions entre les organisations syndicales et patronales. Dans le cadre de la nouvelle réforme des retraites de 2010, les syndicats ont rejeté les projets de décret sur la pénibilité. Pour eux, le dispositif pour faire reconnaître une incapacité liée au travail « s’apparente à un véritable parcours du combattant » . Les méthodes de management sont à chaque fois la pierre d’achoppement des négociations. « Les salariés ne doivent pas perdre leur vie à la gagner, c’est le travail qui doit être adapté à l’homme et à la femme, et non l’inverse » , pouvait-on entendre dans les manifestations du 28 avril. Un slogan qui n’est pas près de perdre de sa vigueur dans les mois à venir.

[^2]: Rapport d’information sur la prospective du pacte social dans l’entreprise, délégation sénatoriale à la prospective, janvier 2011.

Publié dans le dossier
En finir avec Mitterrand
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