« La Piel que habito » de Pedro Almodovar ; Lars von Trier ; « Hara-Kiri : mort d’un samouraï » de Takashi Miike

Christophe Kantcheff  • 20 mai 2011
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« La Piel que habito » de Pedro Almodovar ; Lars von Trier ; « Hara-Kiri : mort d’un samouraï » de Takashi Miike

Illustration - « La Piel que habito » de Pedro Almodovar ; Lars von Trier ; « Hara-Kiri : mort d'un samouraï » de Takashi Miike

Je trouve toujours un intérêt particulier à écrire sur les films qui me posent des problèmes de point de vue de spectateur. Le nouvel opus de Pedro Almodovar, la Piel que habito (la Peau que j’habite), présent dans la compétition, en fait partie. On peut le considérer de deux manières, en fonction du point de vue adopté. Vision positive : en racontant une histoire foisonnante de deuil, de liens familiaux inconnus, de changement de sexe, Pedro Almodovar reprend tous ses motifs habituels dans un film où chaque plan est esthétiquement très maîtrisé, mais de manière telle qu’on peut aussi y voir une dimension réflexive, auto parodique. La Piel que habito n’est en effet pas dénué d’humour, qui ne cesse de monter à mesure que la résolution approche.

Vision négative : à force de multiplier les clins d’œil sur son œuvre, Pedro Almodovar joue un peu trop au petit malin en faisant de la Piel que habito un film « forcément » intelligent parce que trop conscient de son statut auto référentiel. Mais en perdant tout premier degré, le cinéaste dévitalise aussi l’émotion possible de son histoire, qui raconte notamment comment un médecin (Antonio Banderas) transforme Vicente (Jan Cornet), le violeur de sa fille, en femme, Vera (Elena Ayana, filmée merveilleusement par Almodovar), et pas n’importe quelle femme : il lui donne l’apparence de sa propre femme, perdue des années auparavant dans un accident de voiture.

Voilà donc le lecteur de cette chronique avec deux visions critiques antagoniques d’un même film. Un peu à la manière de Télérama , à cette différence près qu’ici, les deux visions sont de la même personne. Si je ne choisis pas entre les deux, on pourra me reprocher de ne pas m’être engagé sur ce coup-là. Alors, je me décide : en toute honnêteté, le film d’Almodovar me semble vraiment trop froid. C’est un bel objet scénaristique, mais désincarné, dans lequel les personnages sont des rouages, sans épaisseur. L’image est splendide, certes, mais les plus beaux plans sont sans acteurs : sur des objets, des lamelles de verre et des gouttes de sang, ou sur des murs recouverts d’écriture. Le film semble avoir été fait sur une idée, celle que contient la dernière séquence (le lecteur désireux de ne pas connaître la fin peut sauter les quelques lignes qui suivent). Deux ans après sa disparition pendant lesquels elle a été opérée et séquestrée, Vera revient dans le magasin de sa mère et lui révèle qu’en réalité elle est son fils, Vicente. Cocasse mais pas suffisant.

Illustration - « La Piel que habito » de Pedro Almodovar ; Lars von Trier ; « Hara-Kiri : mort d'un samouraï » de Takashi Miike


On peut se demander quelle mouche a piqué Lars von Trier dont les déclarations lui valent désormais d’être personna non grata au festival de Cannes. Quand, dans les années précédentes, le Danois, sélectionné en compétition officielle, ne se rendait pas à Cannes au prétexte qu’il ne supportait pas le voyage en avion, au moins se protégeait-il lui-même de ses tendances à la provocation et de sa roublardise malodorante. Mais là, qu’a-t-il fait sinon se griller, vraisemblablement pour un long moment, auprès du festival, ce qui n’est pas tout à fait rien pour un cinéaste ?

À moins que Thierry Frémaux, le délégué général du festival, continue de sélectionner les films de l’auteur de Dance in the dark , palme d’or en 2000, s’il les estime sélectionnables, bien entendu (d’ailleurs, Melancholia , malgré la décision prise contre Lars von Trier, est maintenu dans la course à la palme). Ce serait là adopter la juste position qui ne réduit pas les œuvres à la personne du créateur, en leur accordant une certaine autonomie. Dans cette optique, les considérations éthiques à propos d’une œuvre sont liées à son esthétique et non aux jugements moraux qu’attirent paroles ou actes d’un artiste au sein de l’espace social.

Illustration - « La Piel que habito » de Pedro Almodovar ; Lars von Trier ; « Hara-Kiri : mort d'un samouraï » de Takashi Miike

Les premières rumeurs de palmes circulent. Les pronostics vont devenir le sport cannois le plus pratiqué dans les heures qui viennent (3 films restent cependant à découvrir sur les 20 en lice). Le premier film cité est The Tree of life de Terrence Malick, sans surprise (d’autant qu’il était cité avant même que le festival commence, au prétexte que le président du jury, Robert de Niro, est Américain). Les autres sont les deux films japonais présents dans la compétition, Hanezu no tsuki , de Naomi Kawase, et Hara-Kiri : Mort d’un samouraï , de Takashi Miike, en solidarité avec un pays qui a subi les catastrophes que l’on sait. Des rumeurs sans aucun doute fantaisistes.

Reste que ces deux derniers sont de beaux films. Celui de Takashi Miike, notamment, m’a beaucoup surpris. Peu familier de la filmographie de ce cinéaste prolifique (qui se compte en dizaines d’œuvres réalisées !), je m’attendais à un film de combats plus ou moins gore, avec des samouraïs s’éventrant dans tous les coins de l’écran. Erreur. Hara-Kiri, Mort d’un samouraï est avant tout un drame social, baignant dans une lumière sombre, où le sacrifice de soi n’intervient que pour tenter de sauver la vie d’une mère et d’un bébé malades. Certes, le sang est versé. Mais le long combat final, d’honneur et de désespoir, ressemble à un long ballet sous la neige (c’est le seul moment qui justifie la 3 D, format auquel le film a été tourné). Quant aux scènes les plus dures, qui montrent un terrible hara-kiri, leur violence n’a rien de gratuit. Elle est la conséquence de la misère subie par les personnages. Que Takashi Miike figure au palmarès ne serait pas immérité, après tout.

Temps de lecture : 6 minutes
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