Le smicard et les assistés

Tribune. Baptiste Mylondo, économiste et défenseur du Revenu social, prend la plume après les déclarations de Laurent Wauquiez qui souhaite contraindre les bénéficiaires du RSA à cinq heures de « service social » par semaine. Il estime que les chômeurs « contribuent à la création de richesse sociale ».

Baptiste Mylondo  • 12 mai 2011
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Le smicard et les assistés
© Photo: AFP / Martin Bureau

Ainsi donc il faudrait que les bénéficiaires du RSA… travaillent ! Ils sont sans doute beaucoup à n’attendre que ça, mais Laurent Wauquiez, bravant le ridicule, juge visiblement utile d’instaurer une obligation de travailler en échange du versement du RSA. Il faudrait donc que les bénéficiaires effectuent un travail social de cinq heures par semaine pour mériter leur généreuse prestation, au lieu d’attendre tranquillement, et non sans une certaine malice, que les honnêtes travailleurs leur apportent le pain tout cuit sur la table. Ridicule, absurde, la farce serait drôle si elle n’était si cruelle.

Car si les bénéficiaires du RSA – et les chômeurs de manière générale – ne travaillent pas, c’est bien qu’on les en empêche. Peut-être pas dans le cadre d’un plan machiavélique qui viserait à interdire volontairement à certains l’accès à l’emploi, mais sans aucun doute par le refus obstiné d’organiser autrement la production et de partager plus équitablement les tâches reconnues et rémunérées au sein de la société. Incapables de garantir un travail rémunéré aux chômeurs, nous exigeons néanmoins d’eux qu’ils soient des demandeurs d’emploi à plein temps ! Ainsi, après les avoir empêcher d’accéder à l’emploi, nous les empêchons aussi d’accéder au travail social que veut imposer M. Wauquiez. En effet, comment s’attendre alors à ce qu’ils s’engagent dans des associations alors que leur souhait le plus cher et de ne plus avoir le temps de le faire dans deux mois, un mois ou une semaine, lorsqu’ils auront enfin retrouvé un emploi digne de ce nom ? Comment s’attendre à ce que les chômeurs s’investissent dans la vie associative, alors que la seule chose qu’on leur demande d’avoir à l’esprit est leur recherche d’emploi ? Il est donc inutile d’obliger les bénéficiaires du RSA à effectuer un travail social. Ce qu’il faut, c’est simplement les y autoriser.

Il peut toutefois être intéressant de se pencher sur cette obligation que réclament certains. Elle traduit en effet une étrange vision de notre société et de l’utilité sociale. De notre société d’abord parce que cette obligation que l’on veut faire peser sur les bénéficiaires du RSA, oppose clairement les honnêtes travailleurs d’un côté, et les fainénants, les profiteurs, les assistés, de l’autre. On l’a vu, l’affaire n’est pas aussi simple… Une vision étrange de l’utilité sociale ensuite car, si l’on suit bien le raisonnement, il faudrait pour contribuer à la société avoir un emploi ou, à défaut, se livrer à un travail social précis. Que l’emploi soit utile à la société, nous pouvons en convenir. Que contribuer à l’organisation d’un repas de quartier pour les personnes âgées soit utile, comme le suggère M. Wauquiez, cela ne fait guère de doute. Mais pourquoi se limiter à ces activités ? À l’évidence, toute activité associative est également utile. Toute activité réalisée dans une association déclarée bien sûr, mais pourquoi pas aussi dans une association de fait ? Dans une association de fait, mais aussi dans les cercles familiaux, amicaux, d’affinité. Finalement, ce qui est utile à la société, c’est bien d’entretenir ce lien social qui rend le travail social inutile.

Obliger les bénéficiaires du RSA à contribuer à la société ? Non seulement ils le font déjà à travers leurs activités diverses, mais ils le feraient davantage encore si on les laissait faire. Laissons-les faire, au même titre que les autres bien sûr, et reconnaissons-leur aussi cette égale utilité au lieu de les pointer du doigt comme d’odieux assistés ! Si la société leur refuse une place reconnue dans la production de valeur, qu’elle leur reconnaisse au moins leur contribution à la création de richesse sociale !

Mais une dernière question mérite d’être soulevée. Ce qui semble avoir motivé l’envolée de Laurent Wauquiez contre ce « cancer » qu’est l’assistanat, c’est le refus d’une injustice. Certains individus, bénéficiaires de minima sociaux entre autres aides sociales, gagneraient davantage que de modestes smicards. N’entrons pas ici dans une querelle de chiffres, et posons uniquement la question de principe. Pour réparer l’injustice, M. Wauquiez propose donc cinq heures de travail hebdomadaires, et préconise de limiter le montant total des aides à 75% du smic. Mais qu’y a-t-il de choquant à ce qu’une famille de chômeurs, comptant deux enfants, touche 1 100 euros d’aide sociale ? Est-ce indécent ? Excessif ? S’agit-il d’un luxe indu ? Comment imaginer réduire encore leurs revenus ? C’est décidément prendre le problème à l’envers… Bien sûr qu’un emploi, même payé au Smic, doit garantir un niveau de vie supérieur à celui assuré par les aides sociales, mais cela ne doit pas empêcher de garantir à tous un niveau de vie minimum suffisant !

La solution aux angoisses de M. Wauquiez n’est donc pas d’obliger les chômeurs à travailler, ni évidemment de réduire le montant des aides qui leur sont versées. Ce qu’il faut au contraire, c’est verser à tous un revenu inconditionnel suffisant au nom de la contribution de tous à la création de richesse sociale. Verser un revenu social, auquel les revenus d’activité viendraient s’ajouter, car toute peine mérite salaire. Au passage, si l’on souhaite réellement régler le problème du chômage, ce revenu social inconditionnel est sans doute la meilleure voie vers un retour au plein emploi.

Baptiste Mylondo et membre du collectif POURS (POur Un Revenu Social), auteur notamment de Ne pas perdre sa vie à la gagner (Croquant, 2010) et de Un revenu pour tous ! (Utopia, 2010).

Temps de lecture : 5 minutes
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