Les policiers n’ont rien fait à Clichy…

Le non-lieu accordé aux policiers impliqués dans la mort de Zyed et Bouna en 2005 à Clichy-sous-Bois empêche un débat contradictoire.

Ingrid Merckx  • 5 mai 2011 abonné·es
Les policiers n’ont rien fait à Clichy…
© Photo : AFP / De Sakutin

Charges insuffisantes ? Le 27 avril, la cour d’appel de Paris a accordé un non-lieu aux deux policiers mis en examen en février 2007 dans l’affaire dite de Clichy. Le 27 octobre 2005, à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), trois jeunes poursuivis par des policiers se réfugient dans un transformateur EDF. Deux y meurent électrocutés : Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans. Le troisième, Muhittin Altun, 17 ans, survit à ses blessures. Contrairement à ce qui a été d’abord annoncé par la police, ils n’avaient commis aucune infraction. Ils jouaient au foot et, n’ayant pas leurs papiers sur eux, se sont affolés en voyant les policiers et ont pris la fuite.

Les circonstances de ce drame donnent lieu à une longue instruction. Finalement, deux des policiers présents sont renvoyés le 22 octobre 2010 par les juges devant le tribunal correctionnel pour « non-assistance à personne en danger ». Le parquet fait appel de cette décision. Ce drame est souvent cité comme le point de départ des émeutes de 2005 en banlieue. « En fait, précise Joëlle Merckaert, directrice de cabinet à la mairie de Clichy, s’il y a eu des émeutes la nuit du 27 octobre 2005, c’est surtout l’explosion d’une grenade lacrymogène lancée contre la mosquée Bilal, trois jours plus tard, qui a mis le feu aux poudres. » Reste que, dans l’affaire de la mort des deux jeunes, la cour d’appel de Paris a suivi les réquisitions du parquet général, qui réclamait un non-lieu au motif que les deux policiers n’avaient pas eu connaissance de la réalité du danger. Le lieu où les jeunes se sont réfugiés était potentiellement dangereux, et l’un des policiers aurait averti par radio : « S’ils entrent sur le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau. » « Mais la cour a jugé que les policiers ne pouvaient avoir la certitude absolue que les enfants se trouvaient encore sur le site » , explique Jean-Pierre Mignard, avocat des victimes. « C’est une décision strictement politique, ajoute-t-il en renvoyant à son livre, l’Affaire Clichy, Morts pour rien (Stock), où il expose sa version de l’affaire avec son confrère Emmanuel Tordjman. La vraie question dans ce dossier est : pourquoi y a-t-il eu appel ? Cette affaire repose la question de l’indépendance du parquet : le pouvoir politique ne veut pas que l’affaire Clichy soit jugée pendant ce quinquennat. » Les familles des victimes ont décidé de se pourvoir en cassation et de citer devant le tribunal de grande instance de Bobigny tous les policiers présents lors du drame pour « mise en danger délibérée de la vie d’autrui ».

Surpolitisation, surmédiatisation ? Cette affaire a nourri une forte attente de justice du côté de la population. Sans procès public, l’opinion risque de retenir le « non-lieu en faveur des policiers » et donc leur non-responsabilité dans la mort des deux jeunes ainsi que dans le démarrage des émeutes. Claude Dilain, maire (PS) de la ville, qui d’ordinaire ne commente pas les décisions de justice, regrette la décision de la cour d’appel. Depuis le début de l’affaire, il réclame la tenue d’un débat contradictoire : « Il n’aura pas lieu, et je le regrette, même pour les policiers, a-t-il déclaré. Il peut y avoir des doutes avec ce non-lieu, […] et cela va être dur pour les familles de faire leur deuil. » À Clichy, l’annonce de cette décision n’a soulevé que peu de réactions. « Les jeunes de 2005 ont 20, 25 ans aujourd’hui, ils sont passés à autre chose, explique Joëlle Merckaert. Et les adolescents actuels ne connaissaient pas Zyed et Bouna… On sent une grande lassitude, une résignation. Ils disent qu’ils s’attendaient à ce que les policiers ne soient pas inculpés, et que la justice, ce n’est pas pour eux… »

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