Martin Parr, so Goutte d’Or !

Le photographe anglais a posé son regard sur ce quartier du XVIIIe arrondissement de Paris. Une exposition réjouissante.

Pauline Graulle  • 12 mai 2011 abonné·es

Une rangée de postérieurs nous fait face. C’est l’heure de la prière, un vendredi, sur le bitume de la rue Polonceau, à Paris. Et c’est un Britannique ( of course ! ) qui livre cette vue décapante, réponse – on ne peut plus explicite – à ceux qui vitupèrent contre les prières de rue musulmanes…
Ce regard, Quentin Bajac, spécialiste français de la photographie, le qualifie de « deadpan » . Terme anglais désignant un mélange d’humour et de flegme dont le photographe Martin Parr, 59 ans, ne se départit jamais. Il donne toute sa saveur à son œuvre, succession de séries quasi ethnographiques sur les working class en vacances dans l’Angleterre thatchérienne ( Last Resort , 1983-1985), le tourisme de masse ( Small World , 1986-2005), ou les milliardaires à travers le monde ( Luxury , 2007).

C’est avec la même ironie bienveillante que ce serial photographer , invité par l’Institut des cultures d’islam de Paris, a observé, une semaine durant, les us et coutumes des habitants de la Goutte d’Or. Un quartier du XVIIIe arrondissement, réputé pour être l’un des plus cosmopolites… et aussi des plus pauvres de la capitale. Mais qu’importe. Martin Parr préfère montrer ce que l’ordinaire a de pittoresque, et le banal de merveilleux.

Dans The Goutte d’Or ! (avec ce point d’exclamation admiratif), on verra donc l’autochtone dans le théâtre d’un quotidien aux couleurs vives et acidulées. Au hammam, chez le coiffeur, au bar ou dans les boutiques… À l’instar de sa série Bored Couples , immortalisant l’ennui à deux autour d’une table de restaurant, Parr excelle à saisir ces scènes à la frontière du social et de l’intime. Comme ces instants de recueillement collectif au temple ou à l’église Saint-Bernard. Ou le joyeux gynécée aux « Bains maures » du boulevard de la Chapelle…

Autant de lieux où l’explorateur caustique des comportements sociaux retrouve cet univers foisonnant et kitsch ­– l’artiste n’aime pas le terme – qui fait sa marque de fabrique. Les imprimés old school des foulards exposés en vitrine, le mini-sapin de Noël surchargé dans le salon du professeur de wolof, le costume rayé de Jocelyn, le « roi de la sape », ou le papier peint marronnasse chez la famille Dramé… Tous ces détails d’ordinaire ignorés, jugés trop vulgaires pour la photo d’art, prennent ici une dimension universelle. Ils font écho aux bijoux clinquants de l’oligarchie russe, aux frites graisseuses vendues sur les plages de New Brighton, aux décors de carton-pâte de Disneyland.

Incorrigible collectionneur (une manie à laquelle le Jeu de paume a rendu hommage en 2009), Martin Parr s’applique à ranger, classer, nommer ce qu’il voit à la Goutte d’Or. L’accrochage en chapitres (Rituels, Spiritualités, etc.) participe de cette démarche. Comme ce bestiaire improbable qu’il constitue au fil de son expédition : le berger allemand, langue pendante et regard bigleux, devenu le temps d’un instantané le « réceptionniste » d’un hôtel miteux ; le cochon tirelire trônant à côté d’un morceau de jambon sur le comptoir d’Éric, le charcutier ; les deux poulets morts (l’un déjà sous cellophane !) brandis par deux hommes en blouse blanche…
Baigné dans le multiculturalisme à l’anglo-saxonne, Martin Parr pose un œil décomplexé, drôle, mais jamais moqueur, sur ce petit monde où cohabite un méli-mélo de couleurs, d’êtres vivants et de cultures.

Culture
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