Petit manuel de la lutte collective, par Charles Piaget

En ouverture du week-end de mobilisation citoyenne au plateau des Glières (Haute-Savoie), Charles Piaget, l’un des principaux animateurs de la lutte des « Lip » dans les années 1970, a dévoilé samedi 14 mai sa recette d’une mobilisation collective réussie. Leçon de choses, devant une salle bouche bée.

Xavier Frison  • 15 mai 2011
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Petit manuel de la lutte collective, par Charles Piaget
© Photo : Lionel Bonaventure / AFP

« Croire au collectif, c’est une aventure, prévient d’une voix claire Charles Piaget, 83 ans. Le modèle dominant de la société pousse à la compétition individuelle, au seul contre tous. Et en cas de licenciement, le salarié ne vient pas plus naturellement au collectif » . Voilà pour ceux qui imaginaient le combat des Lip comme une joyeuse mobilisation menée naturellement bras dessus bras dessous, tous unis et solidaires, du premier au dernier jour.

Pour lutter ensemble, en vérité, il faut ferrailler. Imaginer. Inventer. « Le salarié adhère s’il se sent concerné par les objectifs de la lutte et s’ils sont crédibles » , commence Charles Piaget, avant d’égrener, à la façon d’un inventaire à la Prévert, quelques-uns des dispositifs qui ont fait le succès des Lip en lutte :

– Comptez-vous. « La force de la présence physique est essentielle. Le week-end, les salariés de Lip devaient faire face aux doute et aux critiques de leur famille, c’était un facteur décrochant. Dès le lundi, au milieu de 800, 850 personnes mobilisées, l’angoisse disparaissait pour faire place à l’action. »

– Comprendre la psychologie de l’entreprise. « L’entreprise, c’est l’absence totale de démocratie, la peur permanente érigée en système. L’entreprise redoute plus que tout une expression commune des salariés. »

– Être ferme et présent. « Au premier jour de l’action collective, il faut absolument refuser de négocier avec le patron, qui va systématiquement tenter de faire diversion et d’étouffer la grogne. Quant aux syndicats, il faut refuser de tenir des réunions avec eux… le jour. Pourquoi ? En accaparant le temps des délégués du personnel, cela les détache des salariés. Dans la même logique, les délégués ne doivent jamais quitter tous ensemble le lieu de la lutte. »

Jouer l’unité. « Il faut promouvoir tout ce qui peut unifier et prescrire tout ce qui peut diviser. Cela veut dire, entre autres, pas de vote ! Tout vote est un outil de séparation des salariés. Il faut au contraire chercher en permanence le consensus, par petit groupe lorsqu’une assemblée générale devient difficile, par exemple. »

– Informer. « En permanence, les salariés doivent être informés de l’état de la lutte, où en sont les discussions, etc. »

– Le salarié au centre. « Les syndicats sont évidemment indispensables, mais le dernier mot doit toujours revenir au salarié en lutte. De la même manière, l’analyse n’est pas l’apanage des syndicat. Les salariés eux-mêmes doivent se mettre à réfléchir, à proposer. Chez Lip, nous avions monté des groupes de propositions. »

– Eduquer. « Apprendre à débattre, c’est indispensable. Occuper un espace central et très passant dans l’entreprise, comme nous l’avions fait chez Lip, est intéressant. Les gens pouvaient passer, entrer et sortir, s’arrêter quelques instants. Au fur et à mesure, la culture du débat s’est imposée et les salariés se sont familiarisés avec la prise de parole en public. »

– Communiquer, émanciper. « Un autre outil pour inciter au débat a été, chez Lip, le journal mural sur le conflit, qui occupait 8 à 10 mètres en longueur. Les articles de presse y étaient affichés, sans aucun commentaire. Que de débats, que d’apprentissages politiques se sont développés devant ce mur ! L’émancipation de la base bouscule la hiérarchie dans l’entreprise. »

– Transparence. « Il faut ouvrir l’entreprise à tous. Pour Lip, l’idée était d’en faire une ‘maison de verre’, où tous les visiteurs étaient les bienvenus. »

– Autonomie. « Toutes ces actions ont une vertu essentielle : les salariés gagnent en autonomie. A l’époque, un groupe est allé jusqu’à organiser un débat avec les CRS ! Un autre a invité les familles des grévistes à débattre, et l’on s’est rendu compte que la démocratie prônée à l’usine n’était pas toujours d’actualité dans la cellule familiale. »

– Bilan. « A la fin de notre aventure, un groupe de jeunes salariés a écrit trente pages relatant la lutte. Ils disaient : On a plus appris en dix mois qu’en dix ans auparavant . »

Temps de lecture : 4 minutes
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